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s’il ne prétend fournir qu’une simple exposition de l’être idéal et logique des choses. » L’intelligence fera-t-elle donc deux parts en elle et pourra-t-elle ainsi toujours contempler sans jamais chercher à conclure, sans jamais pousser la spéculation jusqu’à ses conséquences positives ? M. de Schelling ne résout pas la question : tout ce qu’il souhaite, c’est de se conserver une doctrine qui ne soit ni « le monstrueux panthéisme, » ni « l’imbécile théisme. » Forcer Dieu à traverser aveuglément la nature entière pour arriver enfin à conquérir la conscience de lui-même dans la pensée de l’homme, ou bien le mettre hors du monde et non pas seulement au-dessus du monde, sous prétexte de l’honorer davantage, voilà les deux écueils entre lesquels M. de Schelling aspire à naviguer, et n’oublions pas que le second lui semble aussi dangereux que le premier pour qui veut être vraiment chrétien.

Singulier christianisme, quand on n’est pas un peu habitué aux interprétations élastiques de la science allemande ! christianisme antérieur au Christ lui-même, antérieur à tous les symboles, assis sur les mêmes fondemens que l’univers qu’il précède dans l’ordre absolu des existences, et tout à la fois christianisme nouveau dont le point de départ est la ruine absolue de tout ce qui s’est jadis appelé de ce nom-là. D’Alembert avait prévu que la logique conduirait les théologiens protestans jusqu’à un déisme franc et sans alliage. « La prédiction, dit M. de Schelling, est aujourd’hui réalisée, c’est bien là notre fameuse sagesse d’à-présent. Le philosophe du XVIIIe siècle avait envisagé la réforme dans ses conséquences extrêmes ; la philosophie du nôtre doit tenir ces conséquences pour accomplies, et, pendant que beaucoup travaillent encore à les amener, elle doit s’avancer d’un pas de plus et raisonner de cette façon : cela devait arriver, ce progrès était un progrès nécessaire ; il était bon qu’il y eût table rase, que le sol fût partout nivelé pour qu’on pût voir enfin un christianisme librement reconnu et librement accepté, pour qu’au lieu d’une théologie étouffée dans l’ombre il y eût un jour un système qui, pénétré par l’air vivifiant de la science, capable de résister à tous les orages, donnât une valeur universelle aux trésors enfermés dans le christianisme comme des joyaux dans un écrin. » Ce système régénérateur pourrait-il être le déisme lui-même, « une abolition complète de tout élément chrétien, une vulgaire théorie que l’on montre maintenant à l’Allemagne comme le plus sûr chemin vers la grandeur politique ? » M. de Schelling rejette avec un bien rude mépris tout ce qu’il y a de simple, de clair, de pratique dans ce mouvement rationnel auquel obéit le protestantisme. Il n’a point d’ironie assez dédaigneuse pour accabler ces croyances « qui se résoudraient en philosophie pure et n’ajouteraient rien à la philosophie ; » il leur reproche impitoyablement de ne point étendre l’esprit humain, de perdre d’autant plus d’efficacité pour le développement d’une culture nationale, qu’elles dépouillent davantage les idées religieuses de leurs dehors positifs ; il se moque avec plus de verve que de justice de ces prétendus penseurs qui entendent par liberté de penser la liberté de ne rien penser du tout ; il leur demande s’il vaut la peine de monter en chaire pour informer le public qu’on ne comprend point cet article-ci ou cet article-là, quand il y a tant à parier qu’on est d’ailleurs si pauvre en compréhension. Sans doute les intentions sont bonnes, et, parce qu’on ne sait rien, ce n’est pas qu’on n’ait point envie de savoir : l’écolier qui vint trouver Méphistophélès ne voulait-il pas aussi en toute simplicité connaître bientôt ce