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qu’il y avait dans le ciel et sur la terre : la science et la nature ? » M. de Schelling répond à ces honnêtes gens qu’il raille, comme le mauvais esprit répondait au pauvre écolier : « Vous êtes sur la voie, ne vous découragez pas ! »

M. de Schelling n’a pas songé qu’on pourrait peut-être lui renvoyer l’argument, et, s’il était jamais permis de dénigrer les ambitions du génie pour les punir de leur immensité, qui donc tomberait plus que lui sous le coup du persiflage de Goethe ? car enfin que veut-il et quel est le sens le plus clair de sa profession de foi ? Le voici : les dogmes surnaturels disparaissent de la conscience humaine ; les notions naturelles les remplacent. Cet empire que le sens commun prend sur la pensée pour ne la plus nourrir que de choses intelligibles, cet empire toujours croissant, l’héroïque lutteur prétend l’arrêter dans son cours. Ces mystères que le déisme rejette parce qu’ils sont au-dessus de l’ordre régulier, M. de Schelling les accepte parce qu’il en a trouvé la clé dans un ordre plus sublime ; ces rapports merveilleux, qui constituent l’ensemble du christianisme et qui le placent en dehors du domaine de la raison, M. de Schelling les regarde comme les rapports généraux qui constituent l’univers et les explique avec la raison elle-même. Telle est proprement la portée de cette philosophie nouvelle dont il n’a point encore voulu dire tout le secret, et qu’il annonce depuis si long-temps comme la philosophie positive. Ce n’est point par occasion qu’il convient d’aborder un système d’entente si difficile et couvert jusqu’à présent de voiles si nombreux. Nous pouvons du moins apprécier la grandeur que l’auteur lui prête ; l’auteur y a employé sa vie, parce qu’au milieu des ténèbres, des ruines, des contradictions du présent, il y voyait la foi, la lumière et comme l’évangile de l’avenir ; c’est celui-là qu’il propose à son pays pour le sauver des trivialités de l’évangile du déisme. Nous n’incriminerons pas cette noble présomption d’un vaste esprit qui, plutôt que d’accompagner le vulgaire dans ces routes banales où l’on ne se trompe pas, voudrait l’emmener avec lui par ces chemins ardus qu’il se fraie à son usage. Nous n’adresserons point à M. de Schelling la critique moqueuse qu’il jette si fièrement aux rationalistes ; nous lui dirons plus sérieusement qu’il ne le disait : Ne vous découragez pas ! Quels que soient les entraînemens des inventeurs de génie, nous croyons qu’il y a quelque chose de beau et de vrai même dans leurs essais les plus aventureux ; nous voudrions seulement que ces enthousiastes ne fussent pas si sévères pour les gens de sang-froid qui pensent aller plus sûrement en descendant le fleuve au lieu de le remonter. Nous admirons les imaginations savantes du néo-paganisme alexandrin ; nous trouvons Porphyre un habile homme, et nous eussions été pourtant contre Porphyre avec les chrétiens du IIIe siècle.

Comment M. de Schelling parvient-il à prendre cette place décisive pour sa philosophie, détrônant ainsi, au profit d’une orthodoxie de son fait, non pas uniquement la vieille orthodoxie des théologiens dogmatiques, mais aussi cette autre orthodoxie fraîchement arrangée par l’école hégélienne ? Résumons les idées qu’il énonce plutôt qu’il ne les développe. Le protestantisme s’est offert comme opposition vis-à-vis d’une église constituée, et par conséquent il a dû produire une confession ; il s’est appliqué à démontrer la conformité du symbole avec l’Écriture au lieu d’établir la vérité de la chose contenue dans le symbole ; la théologie s’est enfouie dans la grammaire et l’exégèse. Aujourd’hui l’on veut s’affranchir des liens confessionnels, le temps en est passé ; mais presque tous