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LE RÊVE DE CÉSARA


1. Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage des anges, si je n’ai point la charité, je ne suis que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante.
2. Et quand j’aurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères, et que j’aurais une parfaite science de toutes choses ; quand j’aurais encore toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien.
(Épître première de saint Paul aux
Corinthiens
, chap. XIII.)


Les ombres sont partout dans mon ame et autour de mes yeux ; une voix m’appelle par mon nom : « Césara, Césara. » Je sors, je marche ne sachant où ; mais jusqu’au bout du monde, s’il le faut, je suivrai cette voix !

Près d’une cathédrale j’aperçois une tour noire ; on m’y a fait entrer ; je monte, je monte par d’étroits escaliers. La voix court devant moi, elle appelle : « Césara ! Césara ! »

Et tout à coup aux épaisses et sombres murailles ont succédé les broderies, les guipures et les rosaces de pierre ; au travers de leurs feuilles, de leurs calices de granit, filtrent les clartés de la lune. Et plus je montais, et plus les rosaces et les fleurs se multipliaient, et plus elles s’élançaient sur leurs tiges sveltes et délicates, et plus la lumière augmentait, — et la voix ne cessait de m’appeler : « Césara ! Césara ! »

Sous moi, et en dehors des balustrades de granit, un précipice sans fond ; au-dessus de ma tête, le clocher tressé à jour ; les rosaces gothiques superposées sur les rosaces gothiques, les arcades s’appuyant sur d’autres arcades, tout un monde d’aiguilles, d’angles aigus s’élançant vers le ciel ; et à travers chaque ouverture une étoile qui brille, et là-bas, au-dessus de la montagne, la lune qui monte, large et pâle comme un bouclier d’argent.

La voix est entrée dans le clocher, et, comme un rossignol caché dans le feuillage, elle m’appelle : « Césara ! Césara ! » Devant moi se déroule un horizon sans bornes. Il m’a semblé voir comme un mélange confus de villages, de villes, de collines, de vallées et de forêts endormies ; et, au milieu du silence, et sur un ciel bruni, comme un miroir d’acier, la lune montait, montait lentement.

Tout à coup, de dessous mes pieds, s’éleva une harmonie grave et solennelle ; on eût dit la voix des orgues se mêlant aux chants de la foule ; et, toujours plus larges et plus retentissans, ces accords montaient du bas de l’église, m’entourant, m’enveloppant de leurs ondes sonores.

Et après chaque accord la clarté de la lune devenait plus vive, les étoiles se dilataient comme des prunelles de feu, plus larges, plus grandes et plus brillantes. Tout le ciel, comme une mer lumineuse, est suspendu sur ma tête ; sous mes pieds la terre s’étend comme une glace où se reflète toute cette lumière : — seulement la tour et la cathédrale sont noires, — noires comme un noir rocher !

Et partout, partout au milieu de cette lumière, j’aperçois des masses de