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fait pour celle de l’île de Pharos, il faudrait reculer l’Égypte jusqu’à la Nouvelle-Hollande.

Quelques traits de la peinture homérique ne manquent pas d’une certaine vérité. La tradition est rarement tout-à-fait mensongère, comme elle n’est jamais tout-à-fait véridique. Il y avait aussi dans les merveilles de l’Inde ancienne et moderne quelques détails vrais au milieu de mille fables. Dans le récit d’Ulysse[1], les Égyptiens figurent comme un peuple civilisé, humain, riche, avancé dans les arts, et les Grecs comme des pirates venus pour tenter un coup de main sur les bords du Nil. Au moment où ils vont être exterminés par les habitans comme ils le méritent, ils doivent leur salut à la générosité du roi, et conservent leur liberté au milieu du peuple qu’ils ont voulu piller. Déjà se montre ici une notion confuse de l’antériorité de la civilisation égyptienne et de cette justice tant vantée depuis.

La terre d’Égypte était donc pour les Grecs du temps d’Homère une terre de merveilles ; mais, avant de la bien connaître, ils s’étaient empressés, suivant l’usage, de la rattacher à leurs traditions poétiques : ils conduisirent Hélène sur les bords que devait enchanter Cléopâtre. Hélène en rapporta ce précieux népenthès qui, « mêlé au vin de la coupe, endormait la colère et la douleur, et ne permettait pas pour tout un jour de verser des larmes, même à ceux qui auraient perdu un père ou une mère, ou qui auraient vu un frère ou un fils chéri égorgé sous leurs yeux. » Il me semble impossible de ne pas reconnaître dans le népenthès d’Hélène le hachich si usité au bord du Nil, et dont on commence à parler en Occident. Le hachich, auquel un poète arabe disait, sans se douter qu’il répétait Homère : « Repousse loin de moi tous les chagrins et les maux les plus amers[2], » le hachich ne se mêle point au vin, mais on le prend en buvant, et son effet paraît être de délivrer l’ame de toute impression pénible, et d’exciter en elle un sentiment de joie sans motif et sans bornes[3].

On sait que le Vieux de la Montagne se servait du hachich pour plonger dans une ivresse délicieuse ceux qu’il voulait armer contre ses ennemis, et que de là est venu le mot français assassin. « L’effet du hachich, dit M. de Sacy, était de leur procurer un état extatique, une

  1. Odyssée, liv. XIV, v. 246 et suiv.
  2. Sylv. de Sacy, Chrest. arabe, liv. r, p. 215.
  3. Pietro della Valle avait déjà eu l’idée que le hachich pourrait être le népenthès d’isomère (Journ. des Sav., 1829, 86). Makrisi dit bien que la découverte des propriétés enivrantes du chanvre ne remonte qu’au VIIe siècle de l’hégire ; mais M. de Sacy la croit plus ancienne. Dès le temps d’Hérodote, on employait les grains du chanvre pour se procurer une ivresse semblable à celle de l’opium. (Mongez, Journ. des Sav., 1825, p. 176.)