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prétexte suffit pour donner du retentissement au bruit le plus absurde, surtout quand ce bruit est l’écho d’un sentiment populaire.

Les deux obélisques d’Alexandrie étaient placés devant le temple de César, temple qu’on suppose avoir été élevé par Cléopâtre au père de Césarion[1]. Elle aurait donc plus de droit d’attacher son nom à ses aiguilles qu’à son canal, qu’elle n’a point creusé, ni à ses bains, qui sont des tombeaux. En effet, les obélisques ont été placés là où ils sont quand a été construit le temple, dont ils formaient une dépendance, car, selon l’usage égyptien, les obélisques constamment accouplés s’élevaient un peu en avant des deux montans d’une porte ou des deux jambages d’un pylone[2].

À quoi pouvait tenir cet usage ? Quelle idée symbolique exprimait cette disposition architecturale ? Ici le sens d’un hiéroglyphe nous explique ce que les assertions sans fondement des anciens et les suppositions sans preuve des modernes ne sauraient nous révéler. Pline affirme que par l’obélisque les Égyptiens désignaient un rayon du soleil ; il faut avouer que ce serait là un symbole un peu matériel[3]. Un aveugle de naissance auquel des physiciens s’efforçaient d’expliquer la nature de la lumière au moyen de cônes, s’écria : «  Je comprends ; la lumière doit ressembler à un pain de sucre. » En vérité, la lumière me paraît ressembler à un pain de sucre tout aussi bien qu’un obélisque à un rayon, de soleil[4] ; mais nous n’avons pas besoin des explications de Pline, que nous retrouverons en faute sur les hiéroglyphes. Les modernes ont eu des idées encore plus étranges sur le sens symbolique des obélisques. Bécanus, qui croyait fermement que le flamand était la langue sacrée des Égyptiens, déclare que l’obélisque est un emblème de la vie parfaite, dans laquelle l’ame se dégage de la vie terrestre et se concentre dans l’unité. Que le XIXe siècle ne triomphe pas trop de la bizarrerie du XVIe. En ce moment, un Allemand vient de découvrir que la pyramide triangulaire terminée en pointe, qui forme la partie supérieure des obélisques, résume parfaitement la théorie d’Empédocle sur les élémens dont le principe est l’unité.

  1. Strabon, qui visita l’Égypte 24 ans avant J.-C., vit déjà ce temple de César.
  2. Il y a quelques exceptions à cette règle générale. Ainsi l’obélisque élevé par Ptolémée Philadelphe en l’honneur d’Arsinoé était isolé au milieu d’une enceinte.
  3. Polidore Virgile, outrant la pensée de Pline, en vrai commentateur du XVIe siècle, déclare qu’un obélisque a exactement la forme d’un rayon de soleil qui entre par une fenêtre.
  4. Ce rapport de la pyramide et de l’obélisque a frappé Saint-Genis, l’un des auteurs du grand ouvrage d’Égypte. « Le corps du monolithe, dit-il en parlant de l’obélisque, a un air de pyramide quadrangulaire très allongée. » Antiq., t. II, al., 41. « L’obélisque dérive évidemment de la pyramide, a dit M. de Lamennais (Esquisse d’une Philosophie, t. III, p. 180). Norden a été aussi frappé de cette ressemblance entre l’obélisque et la pyramide. Plusieurs auteurs anciens l’ont remarquée.