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du bas-relief. La figure d’Ulysse semble dérobée à quelqu’une de ces belles terres cuites étrusques qu’on voit au musée grégorien au Vatican. Le mouvement passionné du bouillant Achille, qui, au lieu de l’épée qu’il va reprendre, tient encore la lyre, contraste heureusement avec le calme des autres personnages.

Le tableau d’Achille avait obtenu le grand prix de peinture en 1802 ; M. Ingres ne se rendit cependant en Italie que vers 1804. L’académie avait été supprimée depuis 1793, et le voyage à Rome était remplacé par une pension de mille francs. A l’académie de Rome, M. Ingres rencontra Guérin, Granger et Menjaud, pensionnaires comme lui, mais dont il se distingua aussitôt par sa manière originale.

Raphaël Menus et David, dans leur retour vers l’antiquité, s’étaient préoccupés exclusivement de la forme extérieure et du détail anatomique ; ils avaient négligé la vie, et sacrifié la partie intellectuelle à la partie matérielle de l’art, la pensée à la forme pure. M. Ingres, dans les premiers ouvrages qu’il envoya de Rome, paraît déjà s’efforcer de rendre à cette partie spirituelle de l’art toute l’importance qu’elle doit avoir. L’art, comme il l’entend, doit exprimer un sentiment vrai et réel, non une émotion factice et théâtrale. Ces premières velléités d’indépendance et ce retour vers la réalité se manifestent surtout dans le tableau d’Œdipe expliquant l’énigme, que M. Ingres exposa en 1808, au sortir de l’école de Rome. La tête de l’OEdipe se distingue essentiellement de ces types de beauté conventionnelle que reproduisaient tous les artistes du temps ; aussi l’accusa-t-on de laideur et de vulgarité. Les nouvelles tendances de l’artiste apparaissent également dans le naturel parfait de la pose, dans la netteté du contour que l’on qualifia de sécheresse ; elles se montrent encore dans cette fermeté du dessin musculaire et dans cette extrême simplicité d’exécution qui s’écartait singulièrement du genre gréco-fleuri de l’époque. Cette œuvre, certainement incomplète, et qui reproduit trop exactement, quant au geste et à l’attitude, la peinture d’un vase étrusque[1], accusait une bien autre intelligence de l’antiquité que la plupart des compositions soi-disant antiques des peintres qui jouissaient alors de la vogue. Elle annonçait aussi de la part du jeune artiste une louable horreur de l’imitation des chefs-d’œuvre si prônés du goût régnant, et cette force de volonté qui n’est pas seulement de la patience, comme on l’a prétendu : la patience, quoi qu’on ait pu dire, n’a jamais été le génie ; elle peut même lui être absolument étrangère, tandis qu’il n’y a pas d’homme de génie sans volonté. La volonté, chez M. Ingres, est persistante et courageuse ; elle le soutint dans sa lutte avec l’école impériale, qu’il amena d’abord à

  1. Voir le personnage qui annonce la mort d’Agamemnon représenté sur un vase antique trouvé à Capoue et publié par Tischbeia (Recueil de Gravures de Vases antiques).