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composition, et qui, plus tard, le reconnut pour son chef, hâtant le triomphe définitif de celui que pendant si long-temps elle avait mis hors la loi.

Tandis que M. Ingres engageait la lutte avec l’école de David, un jeune peintre allemand levait de son côté l’étendard de la révolte contre les continuateurs de Mengs et de Winckelmann, et, comme le peintre français, il avait choisi Rome pour centre de son action. Frédéric Overbeck était né en 1789 à Lubeck. A peine âgé de dix-sept ans, il se rendit à Vienne pour suivre les leçons de l’académie de peinture ; mais les doctrines étroites de cette école, où dominait le goût antique tel que l’entendaient les imitateurs de Raphaël et de David, convenaient peu à l’ame rêveuse et à l’imagination toute mystique du jeune artiste. Ses professeurs, mécontens de l’affectation qu’il mettait à reproduire le style des vieux maîtres allemands et de son éloignement pour l’étude du modèle, le renvoyèrent de l’académie. Cette exclusion, qui eût été l’arrêt de mort d’un artiste médiocre, fut le réveil du talent de M. Overbeck. Il résolut de se venger de ces dédains de l’académie par des triomphes et d’élever autel contre autel. L’Allemagne lui refusait des maîtres et des leçons ; il se décida à les chercher ailleurs et à remonter aux grandes origines. Il réunit donc quelques amis, se rendit avec eux en Italie, et, cantonné à Rome, dans un couvent ruiné, il fonda cette nouvelle école allemande, humble à son début, comme ces nazaréens dont elle portait le nom, mais qui plus tard devait dominer sans contestation. Envisageant l’art sous ses diverses faces, l’école nouvelle adjoignit à M. Overbeck, son premier chef, MM. Cornélius, Schnoor et Schadow, tous trois novateurs et originaux chacun dans son genre, autant qu’on peut l’être en s’attachant à la reproduction presque littérale des chefs-d’œuvre du moyen-âge et en reprenant l’art où les maîtres des premières époques l’avaient laissé.

Quand M. Overbeck et ses amis arrivèrent à Rome, M. Ingres s’y était déjà rendu comme pensionnaire de l’école française, et son temps d’étude terminé, animé par le même sentiment qui y retenait les jeunes Allemands, il s’y fixait comme adorateur de Raphaël. M. Ingres ne remontait pas si haut que les nazaréens ; moins esclave de l’imitation, il ne croyait pas qu’il fallût reprendre les traditions à leur origine et l’art à son enfance. Tout en admirant Cimabué, Giotto et les peintres des premières époques, il leur préférait Raphaël, qu’il regardait comme le dernier terme du progrès auquel l’art eût encore atteint, et non comme le commencement de la décadence. Il s’attachait donc avant tout à l’étude du divin maître, comme il l’appelait, n’aspirant qu’à suivre de loin sa trace glorieuse, et non, comme les nazaréens, à le refaire tel qu’il aurait dû être si Michel-Ange et le paganisme ne l’eussent corrompu. Il existait néanmoins, on doit le reconnaître, une