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force nouvelle. Aux luttes des partisans de l’empire et de la papauté, aux guerres des républiques et des tyrans, succéda la sanglante rivalité des familles seigneuriales.

Il y avait dans l’origine même des seigneurs un vice qui ne fit que grandir avec elles. Aucune loi ne régissait la succession, il n’y avait pas de raison pour que les frères ou les fils des seigneurs dussent céder la place à l’aîné ; ils se disputaient donc le pouvoir. La liberté communale du moyen-âge pénétrait ainsi dans les familles régnantes pour les dissoudre. Les seigneurs faisaient de vains efforts pour constituer le régime héréditaire ; l’assassinat ou l’émeute étaient la seule loi de succession. Des familles régnantes furent légitimées, il est vrai ; les Visconti devinrent ducs de Milan, les marquis d’Este furent ducs de Ferrare ; cependant l’autorité nominale de l’empereur et du pape ne pouvait rien sur le mouvement général, et les conspirations se jouaient de la légalité factice qui proclamait l’inviolabilité de quelques individus.

La diplomatie italienne, entre les mains des Seigneurs, s’organisa à son tour comme une vaste conspiration où plusieurs chefs s’unissaient dans l’ombre, s’alliaient à des familles, à des bannis, à des prétendans, pour qu’à un moment donné une guerre insignifiante ou une promenade militaire décidât du sort d’un état. Se détachant du droit, la politique fut envahie par la trahison. A l’entrevue de Rubiera, en 1409, plusieurs princes jouèrent à l’assassinat, et le seigneur de Parme, Ottobon Terzi, succomba dans un guet-apens. Le sénat de Venise employa le poison ; soudoya des sicaires à l’étranger, garda d’horribles secrets avec la constance d’un corps politique et la dissimulation de la seigneurie italienne. Lors du supplice du comte de Carmagnola, on vit le gouvernement de la république tout entière tromper lâchement le général. Invité à se rendre à Venise, Carmagnola fut un instant effrayé de l’amabilité extraordinaire de tous les gouverneurs qu’il rencontrait sur son passage ; tous ces gouverneurs avaient ordre de l’arrêter au premier soupçon de fuite. Dans le palais des doges, on lui fit congédier sa suite ; des sénateurs s’offrirent pour l’escorter, et à travers des corridors inconnus ils le conduisirent en prison.

En marchant contre la loi féodale, l’Italie des seigneurs oublia vite le carroccio la martinella, l’infanterie des corporations ; elle ne voulut pas même de l’honneur militaire : partout des mercenaires formèrent la véritable milice. Organisés d’abord par hordes aux temps des républiques, à peu près comme les corporations des arts et métiers ; depuis à l’époque des seigneurs, disciplinés, formés en corps de cavalerie et complètement soumis à des chefs, les mercenaires aboutirent au condottiere bizarre, emblème des derniers temps du moyen-âge italien. Un jour à Naples, un autre jour à Venise, mélange étonnant de bravoure militaire et de perfidie politique, à la solde de tous sans jamais s’aliéner,