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par des archiducs de la maison de l’empereur. Les traditions de la renaissance ne survécurent que dans une île, à Venise, dans la ville qui avait refusé le serment de fidélité à Frédéric II, et qui hostile à la politique comme aux idées italiennes, avait neutralisé chez elle la double idée guelfe et gibeline.

Quels furent, pour les familles régnantes et pour l’aristocratie en général, les résultats de cette restauration du droit impérial et pontifical ? Les familles régnantes durent modifier leur diplomatie et leur politique intérieure ; l’aristocratie fut atteinte dans ses mœurs. De là deux aspects de la décadence italienne, l’un politique, l’autre moral, dont le premier nous occupera d’abord.

Le droit européen, en s’imposant de nouveau à l’Italie, rendit inutile toute la diplomatie italienne du XVIe siècle. Le pape et l’empereur remplacèrent Florence et Milan. Chaque état se trouva seul en présence de la cour de Rome ou de la diète germanique ; la diplomatie européenne décida de tout. La hardiesse des anciens temps, frappée d’anathème, réduite à des intrigues insignifiantes, à des rivalités microscopiques, fut traitée de rébellion. Tuée dans sa politique nationale, la péninsule ne se survécut que par ses villes ; l’histoire de l’Italie à cette époque n’est plus que l’histoire des municipalités italiennes. Là même où l’Italie résistait à la double réaction impériale et pontificale, l’immoralité était profonde comme à Venise, et l’isolement augmentait tous les jours. La littérature, on ne saurait l’oublier, représente fidèlement cette tendance nouvelle, ce triomphe de l’esprit municipale sur l’esprit de nationalité : elle partage le sort de la politique italienne. Née à la cour de Frédéric, devenue italienne au milieu des luttes de l’Italie guelfe et gibeline, soutenue par les seigneurs au-dessus de tous les municipe, s’élevant par ses propres forces au-dessus de tous les seigneurs, nous l’avons vue se réfugier dans l’antiquité, qui n’était ni impériale, ni pontificale, ni municipale. Les municipes se fatiguèrent bientôt de cette renaissance littéraire qui n’était pas de leur temps ; les patois s’insurgèrent, et les poètes populaires ne voulurent voir dans la langue italienne que le patois de Florence ; Florence s’insurgea à son tour et rédigea son dictionnaire toscan où elle jeta l’anathème à la langue italienne. Le théâtre italien, le théâtre des seigneurs ou de l’académie, comme on l’appelait, fut détrôné lui-même par le théâtre des patois, en d’autres termes par la comédie dell’ arte. Les Arlequins de Bergame, les Polichinelles de Naples, les Pantalons de Venise, toutes ces caricatures locales s’étaient en d’autres temps déjà humblement réunies sur les tréteaux, elles y étaient montées avec leurs masques, elles y parlaient leurs patois ; peut-être sortaient-elles du carnaval, des fêtes dell’ arte, c’est-à-dire des corporations des arts et métiers ; peut-être sortaient-elles d’un carnaval plus ancien où Maccus l’esclave était l’ancêtre de Polichinelle. Le