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étrange. De même qu’ils repoussent les conséquences des vérités générales qu’ils admettent, il admettent sans y prendre garde les conséquences de la théorie qu’ils repoussent. Disons la vérité : les partisans des restrictions ne consultent pas les théories ; ils s’en font gloire ; ils ne prennent pour guide que la pratique, ou ce qu’ils appellent ainsi. Il est très vrai pourtant que cette pratique les conduit, quoi qu’ils disent, à ressusciter une théorie, ou, si l’on veut, des préjugés qu’ils désavouent. Que leur apprend-elle en effet ? Qu’il faut protéger l’industrie nationale contre l’invasion des produits étrangers, que, si les barrières de la douane s’abaissaient en France, l’étranger nous inonderait aussitôt d’une masse incalculable de produits, sans que nous pussions, dans l’état présent de notre industrie ; lui renvoyez presque rien en échange. Elle leur apprend encore que dans cette hypothèse toutes les branches du travail national seraient ruinées les unes après les autres, que le pays s’épuiserait en numéraire pour solder toutes ces importations ; et qu’avec le numéraire disparaîtraient jusqu’aux moyens de renouveler les achats dans l’avenir. — Nous sommes bien trompé si du fond de tout cela on ne voit pas sortir la théorie de la balance, avec tout son cortége d’autrefois, moins peut-être l’ancienne franchise de ses allures. Qui le croirait ? ces choses-là sont dites par des hommes qui repoussent loin d’eux toute solidarité avec les sectateurs de la balance, qui désavouent cette théorie, qui s’indignent même qu’on puisse leur imputer d’y croire. Contradictions étranges et pourtant réelles ! C’est qu’après tout on a beau faire. on a beau désavouer cette théorie, ou même refuser de la connaître, le système restrictif n’a d’appui qu’en elle, et, quoi qu’on fasse, on y revient toujours.

Entrons pourtant dans la pensée de ceux que nous combattons, et puisqu’à leurs yeux la théorie n’est rien, que la pratique et les faits sont tout, suivons-les sur ce terrain. Avant tout sachons du moins comment ils entendent la pratique, et de quelle manière ils interprètent les faits.

« Considérez, disent-ils, l’état actuel de l’industrie française. Il s’y trouve à peine quelques branches, presque toutes secondaire, qui soient en mesure de soutenir, à armes égales, la concurrence des industries similaires de l’étranger. La France a une supériorité assez marquée pour les vins ; elle l’emporte encore pour certaines marchandises de luxe, les soieries fines et ouvrées, les cotonnades imprimées, les draps fins, les objets de mode, la bijouterie et les articles de Paris ; mais, pour toutes les autres productions en si grand nombre qui se disputent les marchés du monde, elle n’est pas en mesure de lutter avec les nations étrangères quant aux prix. Supposez donc qu’on abaisse toutes les barrières de la douane, l’étranger nous enverra sans aucun doute ce qu’il produit à meilleur marché que nous ; et que lui donnerons-nous en échange ? Des vins et des objets de luxe. Or, croit-on par hasard que le