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monde entier, maître alors de nous inonder de ses produits, consentira par cela seul à s’abreuver de nos vins, dont il n’a pas l’usage ? Un grand nombre de pays étrangers les repoussent par l’élévation de leurs tarifs, et ce serait une grande illusion de croire qu’ils se décideraient à les admettre parce que nous aurions ouvert la porte à leurs produits. Quant aux objets de luxe, ils sont par leur nature d’une consommation bornée, elle débouche en sera toujours, quoi qu’il arrive, infiniment restreint. Quelles sont donc, encore une fois, ces marchandises que nous livrerions à l’étranger en échange de celles dont il aurait inondé la France ?

« Il fait beau proclamer d’une manière générale le principe de la liberté du commerce, et, au point de vue de la théorie pure, ce principe est admirable : il flatte l’imagination, il satisfait l’esprit, il répond en même temps à ces sentimens de bienveillance universelle qui font l’honneur de notre époque ; mais, au point de vue des intérêts positifs, il ne soutient pas l’examen, ou, s’il est admissible pour ceux qui ne considèrent que le bien général de l’humanité, du moins ceux qui prennent à cœur avant tout le bien de leur pays doivent se hâter de le proscrire.

« Prenez nos industries une à une, et demandez-vous comment elles soutiendront ce régime du libre échange dont vous voulez les gratifier. A l’exception de l’industrie vinicole, qui ne prétend pas apparemment nous tenir lieu à elle seule de toutes les autres, quelle est celle qui se maintiendra droite et ferme devant la concurrence de l’étranger ? ce ne sera pas l’industrie des cotonnades, qui sauf quelques étoffes imprimées, ne peut rien livrer au même prix que l’Angleterre, et ne se soutient sur nos propre marché qu’à l’ombre d’un régime prohibitif. Ce ne sera pas non plus l’industrie des lainages, placée à peu près dans des conditions pareilles. Encore moins sera-ce l’industrie linière, qui se mourait naguère sous la protection d’un tarif modéré, et que des droits doubles ne préservent pas encore aujourd’hui de toute atteinte. Ce ne sera pas même l’industrie des soieries, qui semble à tant d’égards l’apanage particulier de la France ; car, si elle a conservé au dehors le privilège de la fourniture des étoffes ouvrées, elle est déjà, pour les étoffes unies, vaincue par les industries anglaise et suisse, dont elle ne soutiendrait pas le choc sous l’empire d’un commerce libre. Voilà donc, sous ce régime de liberté, les quatre branches principales de l’industrie des tissus mises au néant ; perte énorme, dont rien au monde ne pourrait dédommager la France. Combien d’autres branches du travail national auraient un sort pareil ! D’abord l’industrie métallurgique, qui ne se soutient qu’avec peine aujourd’hui sous l’égide d’un tarif très prometteur ; l’industrie mécanique, qui a réclamé et obtenu récemment une assez large augmentation de droits dont elle se contente à peine ; la verrerie, la cristallerie, la papeterie, et beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. Et que dirons-nous de l’industrie agricole, qui, sauf les vins,