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Ainsi, en Angleterre, toutes les rigueurs du tarif sont en quelque sorte réservées pour les objets qui servent à la nourriture des hommes, tandis que les matières que l’industrie emploie sont presque toutes entièrement affranchies ou grevées seulement de faibles droits : système funeste assurément, système odieux, qui pèse durement sur la condition du peuple et qui l’affame quelquefois, mais qui laisse aux manufactures, dans la concurrence de peuple à peuple, toute la puissance qu’elles peuvent avoir. C’est ce qui explique comment, au sein d’un état social d’ailleurs si tourmenté, l’industrie anglaise a pu conquérir une position si haute. En France, au contraire, c’est sur les matières réclamées par les manufactures que retombent les plus fortes charges, à ce point que pour la plus importante de ces matières, le fer, et même quelquefois pour la houille, ce pain de l’industrie, les droits s’élèvent à plus de 100 pour 100 de la valeur[1]. Faut-il s’étonner que, dans une situation semblable, nos industries se montrent, quand au bon marché de leurs produits, généralement inférieures à leurs rivales ?

On s’exagère pourtant cette infériorité relative, et il suffit de consulter les tableaux de la douane pour s’en convaincre. Malgré tant de charges qu’elles supportent, tant de faux frais qu’elles subissent, les industries françaises du coton et de la laine ne laissent pas d’exporter annuellement des valeurs considérables, qui se sont élevées en 1844, pour la première à 108 millions, et pour la seconde à 104. sont-ce là des témoignages d’impuissance ou de faiblesse ? Ne faut-il pas y voir, au contraire, des résultats presque merveilleux ? Certes, si quelque chose doit étonner dans la situation qu’on a faite à l’industrie française, ce n’est pas que la plupart des manufactures y soient incapables de rivaliser pour les prix avec les manufactures étrangères, c’est bien plutôt qu’il s’y en trouve encore un certain nombre qui aient la puissance d’écouler au dehors et de faire accepter sur des marchés ouverts à tout le monde des masses si considérables de produits. Il est vrai que, pour le coton et la laine, la douane restitue, lors de l’exportation des marchandises ouvrées, une partie des droits qu’elle a perçus sur les matières brutes[2] ; mais, outre que ces restitutions de droits ne s’appliquent

  1. La moyenne du droit perçu sur les fers ne peut pas être établie au-dessous de 20 l. ; c’est exactement le prix du fer en barres en Angleterre. (Voyez les documens fournis par M. Le ministre du commerce aux conseils-généraux dans leur dernière session.) En ce qui concerne la houille, les plus forts droits, savoir : 50 c. par navires français et 1 fr. par navires étrangers, sont établis sur cette partie du littoral qui regarde l’Angleterre, depuis Dunkerque jusqu’aux Sables-d’Olonne, c’est-à-dire précisément là où l’importation devrait être la plus considérable ; et, comme cette importation est le plus souvent faite par navire anglais, on applique le droit de 1 fr. par hectolitre, droit qui excède la valeur primitive de la marchandise.
  2. Tout ce système de primes ou de restitutions de droits nous paraît affreusement mal ordonné, quoiqu’il le fût encore plus mal en 1830, époque où il menaçait d’absorber la totalité du revenu ; mais ce n’est pas ici le lieu d’en discuter les conditions, car, si nous voulions signaler tous les vices particuliers que renferme notre système restrictif, nous n’en finirions pas. Quelques mots seulement. Pour les cotonnades, le montant des primes payées en 1844 ne s’est élevé qu’à la somme assez insignifiante de 992,660 fr. ; ce qui n’est pas même 1 pour 100 de la valeur, tandis que pour les lainages il a été payé 4,781,264 fr., différence d’autant plus extraordinaire que dans cette même année 1844, il a été importé en coton brut ou du pays, une valeur de 104 millions, alors que l’importation des laines tant en masse que peignées, ne s’est élevée qu’à 48,000,000 de fr. On peut bien expliquer cette différence, mais il serait difficile de la justifier. Il serait également difficile d’expliquer pourquoi, le droit perçu sur les laines étant restitué à la sortie des marchandises ouvrées, on n’en fait pas autant pour les toiles de lin ou de chanvre. Pour les cotonnades, la laine se règle d’après le poids c’est 25fr. pour 100 kil. : d’où il suit que ce sont les tissus les plus fins et les plus chers qui y participent le moins. Il nous serait facile de montrer que si ce chiffre de 25 fr. représente assez exactement la moyenne de ce que le trésor a perçu sur les cotons bruts, il ne représente que tout au plus les deux tiers de ce que l’industrie a payé. Pour les lainages, la prime se règle d’après la valeur, savoir : 9 pour 100 de la valeur en fabrique. De plus, cette prime de 9 pour 100 n’est payée que sur les étoffes dont la valeur excède 4 fr. 50 c. au kil. C’est exactement le contraire du principe adopté pour les cotonnades.