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Le spectacle qui s’offrait à nous était réellement empreint d’un caractère diabolique propre à éveiller des idées superstitieuses, et, l’avouerai-je ? je manquai d’argumens pour rassurer Pedro.

Ave Maria ! s’écria Anastasio ; n’as-tu pas entendu des gémissemens semblables à ceux de notre père expirant dans la nuit fatale où nous l’avons perdu ? Ah ! le gambuseo est un affreux métier ! Écoutons.

Nous fîmes silence, mais nous n’entendîmes que le sifflement de la flamme, le craquement du bois qui éclatait au milieu du feu, la respiration oppressée du blessé.

— Fais comme moi, Pedro, continua Anastasio, renonce à ton métier ; tôt ou tard tu en seras victime.

— Jamais je n’y renoncerai ! s’écria le gambusino, qui parut avoir pris une détermination bien arrêtée, et engagea son frère à sortir avec lui pour éclaircir leurs doutes.

— Allez-vous m’abandonner ainsi ! s’écria le blessé avec angoisse. Pour l’amour de la sainte Vierge, que quelqu’un reste avec moi !

— Ce sera vous, seigneur cavalier, me dit Pedro ; mais écoutez, avant tout, une recommandation solennelle.

— Parlez, lui dis-je, et croyez que, s’il est en mon pouvoir d’exécuter ce que vous me demanderez, je suis prêt à le faire.

— Je ne sais ce qui peut m’ être réservé là-haut, reprit-il ; plaise à Dieu que je n’y rencontre que des ennemis terrestres ! mais, si je n’en reviens pas, promettez-moi de ne pas partir avant six jours d’ici. D’ici là, le pauvre Cirilo (il montrait le blessé) sera mort ou rendu à la santé. L’abandonner maintenant, ce serait le tuer. S’il est mort avant ce temps et que je ne sois pas de retour, ni mon frère non plus, je vais confier à votre loyauté, seigneur cavalier, un secret dont vous ferez votre profit. Quand vous aurez récité sur le corps de Cirilo les prières des morts, après lui avoir fait donner une sépulture chrétienne, si c’est en votre pouvoir, vous fouillerez à l’endroit où il repose maintenant, et, à un pied sous terre, vous trouverez l’or que j’ai recueilli dans ce placer ; il y en a une quantité assez considérable. Je n’ai personne à qui le laisser, autant vaut que vous en profitiez qu’un autre.

M’ayant fait cette confidence, il se disposait à sortir, quand, après un moment de réflexion, il ajouta cette recommandation singulière, où se révélait complètement l’étrange caractère du gambusino :

— Si vous craigniez par hasard de vous charger de l’héritage que je vous laisse à cause des tentatives qu’on pourrait faire pour vous en dépouiller, éparpillez-le plutôt que de le laisser enfoui, car, une fois arraché à la terre, l’or est fait pour profiter à l’homme : c’est Dieu qui le veut ainsi.

Presque aussitôt Pedro et Anastasio sortirent l’épée à la main. Je restai sur le seuil de la cabane, et je les vis se perdre dans les