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Achilles Tatius, une peinture assez vive de l’impression que devaient faire sur un étranger, encore au IVe siècle, les merveilles d’Alexandrie. « Après trois journées de navigation, nous arrivâmes à et, comme je rentrais par la porte dite du Soleil, la beauté de la ville me frappant comme un éclair, remplit mes regards de volupté. Une suite de colonnes s’étendait en ligne droite des deux côtés de la rue, qui va de la porte du Soleil à la porte de la Lune, car ces dieux sont les gardiens des portes de la ville. Au milieu de ces portiques était une place de laquelle partaient des rues en grand nombre. La multitude semblait une foule qui émigre. Puis, m’étant avancé encore de quelques stades, je suis arrivé au lieu qui porte le nom d’Alexandre. Là, j’ai vu une autre ville distinguée par ce genre de beauté, que les colonnes s’offraient obliquement, aussi nombreuses qu’en ligne droite. Distribuant donc mes regards dans toutes les rues, je ne pouvais ni me rassasier de voir, ni suffire à contempler tant de beauté[1]. »

L’utile, se trouvait à côté du magnifique ; l’eau du Nil était amenée par un canal, dans une foule de citernes qui abreuvaient les habitans d’Alexandrie, et dont un assez grand nombre existe encore[2]. C’était près du port de l’est qu’était le beau quartier, le quartier royal sous les Ptolémées, impérial sous les Romains. Le palais avec ses dépendances, parmi lesquelles étaient le musée et la grande bibliothèque, occupait un immense emplacement : la cinquième partie de la ville selon Pline, le quart et même le tiers selon Strabon. On le concevra si on réfléchit que c’était un ensemble d’édifices et de jardins dans le goût oriental, comme la résidence des empereurs mogols à Delhi, ou le sérail des sultans à Constantinople, comme la maison dorée de Néron, qui couvrait tout un quartier de Rome, du Palatin à l’Esquilin, de la villa Mills à Saint-Marie-Majeure.

Vers le milieu de la ville se voyait le tombeau d’Alexandre. Le corps du conquérant avait été enlevé à Perdiccas par Ptolémée Soter, apporté sur un char colossal que traînaient soixante-quatre mules, et placé dans un cercueil d’or qui fut volé par un indigne Ptolémée. Le corps, mal protégé par le cercueil de verre qui remplaça le cercueil d’or, a disparu lui-même, et a emporté avec lui l’indépendance d’Alexandrie, qu’une prophétie bientôt réalisée attachait à la conservation des restes de son fondateur.

On sait qu’Alexandre est entré dans la tradition orientale. Il n’a pas été oublié en Égypte que dans la Perse et dans l’Inde, où le souvenir d’Iskander est populaire encore aujourd’hui. Les Arabes d’Alexandrie montraient, au XVe siècle, le tombeau du grand prophète

  1. Achilles Tatius, Erotic, l V, c. I.
  2. Les chrétiens d’Égypte attribuent ces citernes à un patriarche Jacobite du IXe siècle.