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d’Alexandrie, M. Matter, qu’une pensée de fusion entre les sciences de la Grèce et l’organisation des écoles sacerdotales de l’Égypte[1] ait présidé à la fondation du musée. Je ne saurais admettre, avec M. Wilkinson[2], qu’il y ait eu aucun rapport entre le musée d’Alexandrie et les collèges sacrés d’Héliopolis, ni que le premier ait jamais été l’asile de cette sagesse égyptienne dont on retrouve les traces partout, excepté sur les monumens. Le musée était une institution grecque comme son nom ; ses chefs furent des littérateurs grecs ; leurs travaux eurent pour objet les lettres et la philologie grecques : son organisation n’offrit jamais rien d’égyptien ou de sacerdotal. Mais le musée, dit-on, était placé sous la direction d’un prêtre, et c’est là ce qui en faisait une institution analogue aux écoles de l’Égypte. Au premier coup d’œil, cette circonstance peut paraître décisive ; si on regarde de plus près, l’on verra que ce prêtre supérieur du musée était toujours grec sous les rois grecs, toujours romain sous les empereurs romains. Il y a plus, de quelle divinité était-il le desservant ? Était-ce d’Ammon, de Thot ou d’Osiris ? Non, c’était, comme l’a montré M. Letronne, des dieux Ptolémées. Peut-on voir dans le prêtre d’un tel culte autre chose qu’un employé revêtu d’un caractère officiel et préposé à la police du lieu ? La présidence de ce fonctionnaire n’entraînait en aucune sorte l’influence de la vieille religion et du vieux sacerdoce de l’Égypte sur l’organisation du musée. En effet le musée demeura fidèle à son origine et à son nom, et les muses athéniennes y gardèrent leur empire jusqu’à la fin[3].

C’est encore une pensée de transaction entre l’Égypte et la Grèce que M. Matter prête au fondateur de la grande bibliothèque d’Alexandrie. Il s’agissait, suivant cet auteur, d’une collection qui renfermât tous les monumens du génie humain, qui rapprochât les codes de l’Égypte et de la Judée, etc. Ces expressions, plus pompeuses que précises, semblent vouloir dire que les Ptolémées avaient conçu le dessein de réunir dans leur bibliothèque, aux chefs-d’œuvre de la littérature grecque, les produits de la littérature égyptienne et des littératures étrangères. Je dois dire que M. Matter rejette les exagérations des écrivains ecclésiastiques, d’après lesquels l’attention de Ptolémée Philadelphe aurait été attirée sur les écrits importans que possédaient les Éthiopiens, les Indiens, les Perses, les Babyloniens, les Assyriens, les Chaldéens, les Phéniciens, les Syriens, etc. C’est toujours la même illusion sur Alexandrie, que dès l’origine, on a voulu faire plus égyptienne et plus orientale qu’elle

  1. Matter, Histoire de l’École d’Alexandrie, 2e édition, t. I, p. 42.
  2. Modern Égypte and Thebes, t. I, 133-134.
  3. Le musée existait encore sous Théodose. Théon, le père de la célèbre et malheureuse Hypathie, était membre du musée. — Fabr., Bibli. gr., IX, 169.