Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/759

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la spéculation chrétienne, qui est propre à l’école théologique d’Alexandrie, est-elle due aux influences de l’Égypte ? Est-ce la science et la philosophie égyptiennes qu’a recueillies Clément d’Alexandrie ? est-ce le symbolisme égyptien qui a inspiré Origène ?

Quelque part que l’on veuille faire à l’Égypte dans les tendances théologiques de Clément et d’Origène, il restera, je crois, certain que ce tendances proviennent principalement de la philosophie grecque plus dominante à Alexandrie que les doctrines égyptiennes, et plus comme des docteurs chrétiens. Un passage de saint Clément d’Alexandrie, que je rappelais tout à l’heure, contient, il est vrai, sur l’écriture hiéroglyphique le renseignement le plus exact que l’antiquité nous ait transmis ; mais Clément, qui l’avait recueilli de la bouche de quelques Égyptien instruit, montre en plusieurs endroits que lui-même ne lisait pas cette écriture, dont il connaissait la vraie nature. On ne peut donc de cette notion juste, mais très générale, et dont saint Clément ne paraît avoir jamais fait l’application à un texte égyptien, conclure avec M. Matter que « les chrétiens restaient aussi peu étrangers aux croyances égyptiennes qu’aux théories des Grecs. » Ceci n’est nullement prouvé par le passage de saint Clément, ni que je sache par aucun autre passage de ses écrits ou de ceux d’Origène. Au contraire, on voit à chaque page que tous deux connaissent à fond les philosophes grecs, et sont pénétrés de leur esprit. Quand Origène s’écriait : Heureux ceux qui sont assez avancés pour n’avoir plus besoin du fils de Dieu comme d’un médecin, d’un pasteur et d’un sauveur, mais qui n’ont besoin de lui que comme vérité et raison, Origène ne parlait-il pas en philosophe platonicien, en condisciple de Plotin ?

Il est un écrivain qui doit être pris en considération ici c’est Philon, ce Juif alexandrin qui a constamment cherché dans les livres de Moïse une signification symbolique et mystérieuse. En effet, si Philon n’est pas chrétien, il a fondé l’école allégorique parmi les chrétiens ; ses hardies interprétations de l’Écriture ont été reproduites par les docteurs les plus savans, comme Origène, et les pères les plus orthodoxes ; comme saint Ambroise. L’emploi de ce symbolisme, souvent outré, a-t-il été suggéré à Philon par le génie symbolique de l’ancienne Égypte ? Bien qu’il soit naturel de le croire, rien n’est moins fondé. Philon prouve, par ce qu’il dit de l’écriture de la langue[1] et de la religion des Égyptiens, que ces sujets lui sont à peu près entièrement étrangers. Il prend quatre fois Typhon pour Osiris, qu’aurait-il pensé d’un Égyptien qui eût pris Satan pour Jéhovah ? Du reste, il déteste les idoles des Égyptiens, il ne voit dans leur religion, envisagée de la manière la plus grossière et

  1. Bien loin d’admettre que les hiéroglyphes puissent être des lettres, il n’y voit que des animaux sacrés et des symboles de la religion égyptienne. Sur trois mots égyptiens dont il donne l’explication, il n’approche que pour un seul de la vérité.