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place et accompagne le tout des plus doctes citations ; il a seulement oublié de nous apprendre à quel singulier concours de circonstances les sophistes durent leur importance, et quel rôle ils ont joué dans la civilisation et l’histoire politiques d’Athènes. Ces différentes dissertations peuvent donc nous donner une idée avantageuse de l’érudition des auteurs[1] ; mais elles n’expliquent ni l’animosité littéraire d’Aristophane contre Socrate, ni cette étrange condamnation à la peine de mort, prononcée dans un temps calme contre un honnête homme qui avait constamment refusé de se mêler des affaires publiques. Ces curieuses questions, qui intéressent à un si haut point la philosophie de l’histoire, sont restées aussi mystérieuses qu’elles l’étaient auparavant.

Une considération préliminaire nous frappe. Que dans un accès d’orgueil on casse les arrêts de ses contemporains et que l’on se repose sur la justice finale de la postérité, c’est une consolation fort innocente que peuvent s’offrir les grandes prétentions avortées. Peut-être même cette croyance à l’immortalité posthume est-elle une illusion salutaire que la société doit soigneusement entretenir : quelle qu’en soit l’échéance, la gloire s’escompte toujours par du dévouement ou du travail. En réalité, cependant, ces révisions de la chose jugée sont introduites au hasard et n’aboutissent le plus souvent qu’à l’injustice. L’homme n’est pas une abstraction sans siècle ni patrie ; il tient de sa place dans le monde et de sa date dans l’histoire des devoirs particuliers qui l’obligent aussi impérieusement que les autres, et, dans le lointain, tout ce qu’il y avait de local et de temporaire dans ses obligations s’efface et disparaît. La pitié entreprend, si volontiers la réhabilitation des victimes, que, dans ces jugemens rétroactifs, on tient compte aux condamnés de vertus au moins inutiles à leurs contemporains et d’idées dangereuses à leur pays. De mauvais citoyens qu’ils étaient, ils passent facilement grands philosophes ; on les décroche du gibet où ils ont expié leur révolte contre les lois de la patrie, et on les déclare martyrs de l’humanité.

Ces réflexions ne s’appliquent pas, tant s’en faut, dans toute leur rigueur à Socrate ; il était, au moins en théorie, d’une moralité relativement fort élevée, et nous nous sentons une respectueuse sympathie pour les hommes honnêtes qui paient de leur vie une croyance, même intempestive, à des idées désintéressées, utiles en définitive à leurs semblables. Disons-le tout d’abord quoique nous ne connaissions la doctrine de Socrate que par des élaborations de seconde main, souvent contradictoires, quoique les partis différens auxquels ses disciples appartenaient, et le rôle factieux qu’ils jouèrent dans les troubles d’Athènes, ne permettent pas d’attribuer aucune utilité immédiate à ses idées ; nous

  1. Plusieurs ont été composées pour obtenir le titre de docteur, et prouvent que les études n’ont pas dégénéré en hollande de leur ancien ne renommée,