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atteinte. Dans la situation qu’elle s’est faite, malgré les prodiges de son industrie et même malgré l’extension si favorable de son crédit commercial, l’Angleterre ne nourrit, après tout, qu’une population misérable, incessamment travaillée par le besoin. Le développement de l’industrie offre à cette population un actif aliment de travail ; l’extension du crédit lui assure en outre, pour ce travail, une rémunération assez large ; mais la cherté des subsistances annule ce double bienfait, en absorbant dans les seules nécessités journalières tout ce que le travail produit. Les salaires sont élevés, mais le haut prix des subsistances les dévore. De là la gêne, la misère, la souffrance, au sein du mouvement industriel le plus puissant qui fut jamais.

Témoins des souffrances trop réelles de la population anglaise beaucoup d’écrivains en ont fait un crime à l’industrie même, supposant que ces souffrances étaient son œuvre, qu’elles formaient comme le cortège nécessaire, inévitable, d’un développement industriel puissant. Et Dieu sait combien de réflexions niaisement philosophiques ces rapprochemens ont inspirées. Qu’on ouvre les yeux maintenant, et l’on verra que ces souffrances trop réelles, et qu’avec raison on déplore, sont les fruits malheureux de lois spoliatrices, pervertissant, anéantissant comme à plaisir les bienfaits que l’industrie répand.

Les effets que ce régime a produits relativement à l’agriculture ne sont pas moins curieux à observer. En autorisant, dans l’intérêt des manufactures, l’importation de tels et tels produits en toute franchise, tandis qu’elle prohibait les autres ou les grevait de très forts droits, la douane anglaise a forcé l’agriculture à abandonner les premiers pour concentrer toute son activité sur les autres, qui ne sont pas en très grand nombre. On comprend en effet que les restrictions mises à l’importation de certaines denrées du sol venant à élever la valeur vénale de ces denrées au-dessus des prix du commerce libre, les autres, qui n’acquéraient pas ce surcroît de valeur, ne pouvaient plus être produites qu’avec un désavantage relatif, d’autant mieux que les baux de fermage se réglaient naturellement d’après les prix des articles protégés. Par là, le système restrictif a réduit l’agriculture anglaise à une simplicité étonnante, dont on n’avait pas encore vu d’exemple ailleurs. Tous les produits agricoles qui ne sont pas protégés en Angleterre contre l’importation du dehors y sont abandonnés, et cela doit être. Ainsi, outre que ce pays ne cultive pas, ce qui se comprend d’ailleurs, les plantes qui appartiennent aux climats méridionaux, telles que la vigne, le mûrier, l’olivier, il a même abandonné plusieurs de celles qui semblent convenir plus particulièrement à son climat, comme le lin, le chanvre, ces plantes précieuses auxquelles la France consacre cent quatre-vingt mille hectares de ses meilleures terres. L’Angleterre ne cultive guère non plus le colza ni les autres plantes grasses. Plusieurs