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qu’un petit combat, quelques gouttes de sang pour payer sans doute notre dîner et amuser son noble souverain. D’où pouvait venir cette barbare fantaisie ? Un matelot de notre équipage, ancien maître d’armes, donnait quelquefois, pour se distraire, des leçons d’escrime à ses compagnons de captivité ; sans doute les Indiens avaient entendu le cliquetis du fer, ils avaient vu de loin le combat, et, prenant la chose au sérieux, ils en avaient conçu l’idée d’un spectacle vraiment digne d’un peuple sauvage. Pour nous, peu disposés à tenter le métier de gladiateur, nous répondîmes que notre religion nous défendait de faire un pareil usage de ces armes ; puis, saluant très profondément, nous laissâmes tous les spectateurs fort déconcertés. Toutefois nous n’osions pas trop rire de leur mystification ; un tel caprice pouvait avoir de funestes conséquences, et les premières paroles de notre capitaine à son équipage furent pour défendre sévèrement tout exercice qui pourrait faire naître l’idée d’une lutte ou d’un combat.

Je voyais très fréquemment Daïdi : il était toujours complaisant et bon ; mais les espérances que j’avais fondées sur lui s’en allaient à mesure que je le connaissais mieux. Vrai croyant, aveuglé par la superstition, imbu de préjugés, il se faisait mystérieux quand je lui parlais de sa religion, et répondait par des contes ridicules à mes questions sur les mœurs et l’histoire de son pays. Sa protection seule servit ma curiosité ; il consentait quelquefois à m’ accompagner dans mes promenades, et alors j’avais plus d’assurance. La crainte des prêtres et du peuple m’avait éloigné jusque-là des mosquées et des cimetières ; avec lui, j’osai m’en approcher.

On ne peut faire un pas dans cette petite île sans penser au ciel et à la mort ; sur ce misérable coin de terre s’élèvent douze mosquées, et chacune est environnée de son cimetière. Aussi ces hommes, d’ailleurs timides, ont-ils un grand courage à l’heure suprême ; ils sont à peine émus, leur résignation est préparée par l’habitude : ils vivent au milieu des tombeaux, et, quand vient le moment du départ, ils ne vont pas bien loin. Les morts ne sont point entièrement retranchés de la société, car on les consulte, on s’entretient avec eux, et, à certains jours, on leur porte des gâteaux et des fruits.

Trois mosquées se distinguent par leur architecture ; la plus remarquable est celle qui domine les tombeaux des sultans. Les murs sont formés de larges pierres de corail polies, sculptées avec un soin minutieux, et rapprochées avec une adresse si merveilleuse, qu’on croirait voir un seul bloc. Le madrépore, ainsi préparé, prend cette belle couleur jaune doré des marbres antiques. L’édifice est vaste, et cependant il n’a que trois ouvertures, toutes placées à la façade, une porte cintrée et deux petites fenêtres de même forme. Les battans de la porte et des fenêtres sont d’un bois brillant, sculpté avec plus d’art