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temps à l’avance. De plus, s’il trouve des pantoufles à la porte du harem, il se garde bien d’entrer, car c’est signe que sa femme ou ses femmes reçoivent la visite de leurs amies, et les amies restent souvent un ou deux jours…

Pour ce qui est de la liberté de sortir et de faire des visites, on ne peut guère la contester à une femme de naissance libre. Le droit du mari se borne à la faire accompagner par des esclaves ; mais cela est insignifiant comme précaution, à cause de la facilité qu’elles auraient de les gagner ou de sortir sous un déguisement, soit du bain, soit de la maison d’une de leurs amies, tandis que les surveillans attendraient à la porte. — Le masque et l’uniformité des vêtemens leur donneraient en réalité plus de liberté qu’aux Européenne, si elles étaient disposées aux intrigues. Les contes joyeux narrés le soir dans les cafés roulent souvent sur des aventures d’amans qui se déguisent en femme pour pénétrer dans un harem. Rien n’est plus aisé, en effet ; seulement il faut dire que ceci appartient plus à l’imagination arabe qu’aux mœurs turques, qui dominent dans tout l’Orient depuis deux siècles. Ajoutons encore que le musulman n’est point porté à l’adultère, et trouverait révoltant de posséder une femme qui ne serait pas entièrement à lui.

Quant aux bonnes fortunes des chrétiens, elles sont rares. Autrefois il y avait un double danger de mort ; aujourd’hui la femme seule peut risquer sa vie, mais seulement au cas de flagrant délit dans la maison conjugale. Autrement, le cas d’adultère n’est qu’une cause de divorce et de punition quelconque.

La loi musulmane n’a donc rien qui réduise, comme on l’a cru, les femmes à un état d’esclavage et d’abjection. Elles héritent, elles possèdent personnellement, comme partout, et en dehors même de l’autorité du mari. Elles ont le droit de provoquer le divorce pour des motifs réglés par la loi. Le privilège du mari est sur ce point de pouvoir divorcer sans donner de raisons. Il lui suffit de dire à sa femme devant trois témoins « Tu es divorcée, » et elle ne peut dès-lors réclamer que le douaire stipulé dans son contrat de mariage. — Tout le monde sait que, s’il voulait la reprendre ensuite, il ne le pourrait que si elle s’était remariée dans l’intervalle et fût devenue libre depuis. L’histoire du hulla, qu’on appelle en Égypte mustkilla, et qui joue le rôle d’épouseur intermédiaire, se renouvelle quelquefois pour les gens riches seulement. Les pauvres, se mariant sans contrat écrit, se quittent et se reprennent sans difficulté. Enfin, quoique ce soient surtout les grands personnages qui, par ostentation ou par goût, usent de la polygamie, il y a au Caire de pauvres diables qui épousent plusieurs femmes afin de vivre du produit de leur travail. Ils ont ainsi trois ou quatre ménages dans la ville, qui s’ignorent parfaitement l’un l’autre. La découverte de ces mystères amène ordinairement des disputes comiques et l’expulsion du paresseux