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choisissait pas en toute liberté parmi les candidats qui se présentent. Or, il n’existe pas, assurent-ils, de connexion nécessaire entre l’influence de tel ou tel protecteur et la capacité de tel ou tel protégé. D’où il suit que le hasard seul décide les nominations du ministre, et l’expérience a prouvé que la chance n’était pas fréquemment en faveur du mérite. Les mêmes critiques s’élèvent contre l’énormité des traitemens prélevés par les hauts employés sur un pays encore pauvre ; ils affirment que les gouverneurs, attirés sous un climat assez rude par l’espérance d’y grossir leur fortune, y passent trop peu de temps pour le bien connaître, et ne s’y intéressent que par rapport à l’exploitation pécuniaire dont il est susceptible. Ils s’élèvent aussi contre les abus du patronage exercé de compte à demi par le gouverneur et le conseil exécutif, en vertu d’une transaction qui ne profite précisément pas à la bonne administration du pays. Ils parlent de l’isolement où on a placé la chambre d’assemblée, des soupçons qu’on fait planer sur elle, d’un complot tacite par lequel on transforme ses plus légitimes remontrances en attentats à la majesté du souverain, en indirectes excitations à la révolte[1].

Ces griefs sont-ils fondés ou chimériques ? Pour le savoir, il faut d’abord prêter l’oreille aux adversaires des réformes proposées ; il faut voir ensuite ce que pensent les Canadiens eux-mêmes de ces plaintes qu’on émet en leur nom.

Or, les tories les plus exaltés sont très loin de nier tous les abus qui sont imputés au gouvernement de la métropole. Après avoir exalté le loyalisme canadien qu’il compare à celui des montagnards du Tyrol, après avoir racontée comment, en 1812, la Grande-Bretagne vit à l’épreuve la fidélité de ses colons, l’historien Alison, que nous citions naguère, examine les probabilités de la défection coloniale dans l’hypothèse d’une guerre avec l’Amérique. Il envisage la rébellion de 1837 comme un accident malheureux en lui-même, mais dont le gouvernement anglais doit tirer d’utiles enseignemens. « Cet événement met en relief et fait ressortir au grand jour bien des abus qui, sans cela, seraient encore ignorés, et montre à quel point il est indispensable d’y porter remède… On ne doit compter sur l’attachement et la fidélité de ces loyaux sujets qu’à la condition d’adopter et de maintenir un bon système de gouvernement colonial[2]…» Et l’auteur d’Hochelaga, tout dévoué qu’il est aux intérêts de sa patrie, s’exprime très nettement, lui aussi, sur ce sujet délicat. « La dernière rébellion a eu pour résultat définitif un progrès notable dans la situation du Canada L’attention

  1. Westminster Review, 1827.
  2. Alison’s History of Europe during the French Revolution, vol. X, pag. 376, édition Baudry.