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VII. -LE POTOSI.

Parmi les mines péruviennes, celles du Potosi méritent une mention particulière.

Les mines du Potosi sont celles du monde entier qui ont donné le plus d’argent, et qui ont eu la plus grande part à la variation des prix des denrées en Europe. Découvertes en 1545, elles rendaient, onze ans après, en 1556, 89,050 kilog. d’argent fin, représentant 19,790,000 fr. de notre monnaie, et trente ans plus tard, suivant l’évaluation la plus réduite, 184,240 kilog. d’argent fin ou 40,941,000 francs, taux auquel elles se tinrent sans baisser de plus d’un tiers pendant un long laps de temps. Jamais mine d’argent n’avait autant donné et jamais pareille chose ne s’est vue depuis, et pourtant nous ne tenons pas compte ici de tout ce qui s’écoulait sans passer par l’hôtel des monnaies du Potosi, en contrebande, à l’état de lingots, enfin d’éviter les droits établis au profit de la couronne ; ce que M. de Humboldt a porté pour l’ensemble de l’exploitation au quart du produit déclaré, et à l’époque dont nous parlons, c’était davantage. Ainsi la production du Potosi, évaluée au plus bas, se trouvait, vers l’an 1583, de plus de 50 millions. Pour en bien apprécier l’importance, il faut se reporter au temps où le Potosi vint étonner le monde. Alors les métaux précieux étaient extrêmement rares, par conséquent leur valeur relative était bien plus grande qu’aujourd’hui. D’après les prix comparés du blé, l’argent valait en Espagne plus qu’aujourd’hui dans le rapport de 62 à 10. Cette richesse de 50 millions de francs dut faire sur les imaginations espagnoles le même effet que produiraient aujourd’hui 300. Il n’y avait peut-être pas avant la découverte de l’Amérique, ni quarante ans après, en circulation dans toute la monarchie espagnole, une quantité d’espèces d’argent supérieure à ce que donna bientôt le Potosi en une seule année. Il eût fallu moins pour donner à toutes les Espagnes la passion des mines et accréditer la fable de l’Eldorado.

Tous les trésors retirés des mines du Potosi, qui montent à 6 ou 7 milliards, sont sortis des flancs d’une seule montagne, le Hatun Potocchi (le grand Potocchi), dont, par euphonie, on a fait le Potose. Cette montagne, située au milieu des montagnes du Pérou, à cent lieues environ à vol d’oiseau dans l’intérieur des terres, et haute de 4,865 mètres au-dessus de l’Océan, s’élève, isolée en pain de sucre, au milieu d’un vaste bassin, suspendu lui-même sur la croupe des Andes, à une