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métamorphoses. Sir Gilbert Norman, jadis exclusivement voué à la politique ; faisait état de mépriser les puérilités de l’amour, et l’amour, qui se venge d’ordinaire assez cruellement de ses plus ailiers détracteurs, allume au cœur de sir Gilbert une folle passion pour la belle inconnue qui, depuis quelque temps, est venue résider près de lui. Florentine, tout d’abord, n’attache pas un très grand prix à cette conquête, dont miss Tucker, éblouie, lui vante vainement, en personne qui sait calculer, les avantages essentiels ; mais tel incident peut se présenter qui changera les dispositions de Florentine. Supposez, par exemple, que Clarence Norman, de retour en Angleterre, semble n’avoir gardé aucun souvenir de ses premières amours ; supposez que, se méprenant à l’accueil réservé de Florentine, il veuille lui rendre indifférence pour indifférence, oubli pour oubli, et que la jeune miss, se méprenant à son tour, puisse se croire réellement dédaignée par l’ingrat qu’elle a tant aimé, que peut-être elle aime encore : alors, vous le comprenez de reste, il lui sera doux de prouver à Clarence Norman qu’elle peut, elle aussi, songer à un autre hymen ; et si miss Tucker, tout acquise aux intérêts de sir Gilbert, dont elle convoite déjà le château, le carrosse, le somptueux état de maison, choisit ce moment pour plaider chaleureusement la cause du riche et vieux gentleman, gageons qu’elle arrachera au dépit de Florentine une sorte de demi-consentement aussitôt regretté que donné.

Au surplus, ne nous effrayons pas de cette péripétie, bonne tout au plus pour inquiéter des enfans. Lorsqu’un malentendu sépare seul au théâtre deux cœurs secrètement épris, il est de règle fort ancienne et peut-être éternelle que ce malentendu doit cesser vers le milieu du cinquième acte. C’est ce qui ne manque pas d’arriver tout à point, lorsque M. Douglas Jerrold a suffisamment prolongé, d’une part, les souffrances de Clarence et de Florentine, de l’autre, les petits stratagèmes à l’aide desquels Félix Goldthumb prépare son père à le revoir marié, à lui pardonner son retour, à bien accueillir la bru qu’il lui ramène. À ce moment, on découvre que Florentine a suivi, sans qu’il le sût, dans toutes ses pérégrinations continentales, l’heureux jeune homme à qui elle destinait sa main. Ils s’expliquent ; sir Gilbert, sans trop se faire prier, rend à Florentine la parole qu’elle lui avait donnée. Il pardonne, et son exemple autorise Goldthumb à se montrer indulgent pour son mauvais sujet de fils. Les deux intrigues marchent ainsi de front, sans cesser de se côtoyer et de s’entr’aider, fidèles à la tradition de la scène anglaise, où la comédie ne se meut jamais qu’avec un attelage complet, lourde et pesante machine qu’un seul cheval ne mènerait pas loin ; composition gauche et naïve, où percent de tous côtés l’embarras de l’écrivain inhabile à dominer, à répartir son sujet, le besoin qu’il a de