Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/1066

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II.

Dès le milieu du XVIe siècle, le goût de la numismatique, qui s’était éveillé dans toute l’Europe, fit affluer dans les collections publiques et privées des monnaies antiques empreintes de légendes conçues en caractères inconnus. Il n’était guère possible d’attribuer ces caractères à une autre langue que la langue phénicienne, parce que les monnaies provenaient de l’Espagne et de la Sicile, où les colonies phéniciennes avaient été florissantes pendant une longue suite d’années. La vue de ces légendes excita naturellement la curiosité des philologues, et bon nombre de recueils numismatiques s’enrichirent des figures, peu soignées il faut le dire, de ces monumens épigraphiques, dont l’importance n’était douteuse pour personne, mais dont le sens échappait encore à tout le monde. Ces recueils, publiés par Goltzius, Paruta, Lastanosa, Vaillant, Beger, Arigoni, Frœlich, Pembrocke, Reland (je cite les plus habiles), donnèrent naissance à quelques alphabets phéniciens que des savans tels que Scaliger et Bochart s’efforcèrent de déduire en comparant ces légendes énigmatiques aux anciens manuscrits samaritains de la Bible et aux légendes des monnaies judaïques des Macchabées ; mais ces alphabets étaient bien loin de fournir une saine lecture des légendes phéniciennes recueillies, et ce ne fut qu’en 1706 que Jacques Rhenferd parvint à expliquer avec assez de probabilité la légende des monnaies hispano-phéniciennes de Sexti. De son côté, notre illustre Bernard de Montfaucon comprit et lut le premier l’épigraphe des monnaies de Sidon, et de ce moment un premier jalon fut placé sur la voie qu’il s’agissait de parcourir après l’avoir ouverte.

Jusqu’en 1735, les philologues ne purent s’exercer que sur les monumens numismatiques ; mais en cette année on connut, par une publication faite à Malte, deux candélabres votifs trouvés dans cette île, et qui étaient ornés d’une double inscription dont une partie était grecque et dont l’autre fut immédiatement reconnue pour phénicienne, parce que les caractères qui la composaient étaient bien les caractères que les médailles avaient présentés. Quand il s’agit d’arriver à la solution d’un problème de ce genre, la découverte d’un texte bilingue est une admirable bonne fortune. A l’apparition des inscriptions de Malte, deux hommes, l’un Anglais, Jean Swinton, et l’autre Français, Barthélemy, se mirent à étudier ce texte précieux avec une ardeur égale, stimulée vivement par l’annonce d’une série d’inscriptions certainement phéniciennes découvertes à Citium, en Chypre, par Pockoke. Le débat que nous devions voir s’élever quelques dizaines d’années plus tard entre Young et Champollion, à propos de la fameuse pierre de Rosette et de