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dômes et ses minarets. — Les débris d’un temple immense, qui paraît être celui d’Isis, se rencontrent à deux lieues de là. Des têtes de femmes servaient de chapiteau à chaque colonne ; la plupart de ces dernières ont servi aux Arabes à fabriquer des meules de moulin.

Nous passâmes la nuit devant Mansourah, et je ne pus visiter les fours à poulets célèbres de cette ville, ni la maison de Ben-Lockman où vécut saint Louis prisonnier. Une mauvaise nouvelle m’attendait à mon réveil ; le drapeau jaune de la peste était arboré sur Mansourah, et nous attendait encore à Damiette, de sorte qu’il était impossible de songer à faire des provisions autres que d’animaux vivans. C’était de quoi gâter assurément le plus beau paysage du monde ; malheureusement aussi les rives devenaient moins fertiles ; l’aspect des rizières inondées, l’odeur malsaine des marécages, dominaient décidément, au-delà de Pharescour, l’impression des dernières beautés de la nature égyptienne. Il fallut attendre jusqu’au soir pour rencontrer enfin le magique spectacle du Nil élargi comme un golfe, — des bois de palmiers plus touffus que jamais, de Damiette, enfin, bordant les deux rives de ses maisons italiennes et de ses terrasses de verdure ; spectacle qu’on ne peut comparer qu’à celui qu’offre l’entrée du grand canal de Venise, et où de plus les mille aiguilles des mosquées se découpaient dans la brume colorée du soir.

On amarra la cange au quai principal, devant un vaste bâtiment décoré du pavillon de France ; mais il fallait attendre le lendemain pour nous faire reconnaître et obtenir le droit de pénétrer avec notre belle santé dans le sein d’une ville malade. Le drapeau jaune flottait sinistrement sur le bâtiment de la marine, et la consigne était toute dans notre intérêt. Cependant nos provisions étaient épuisées, et cela ne nous annonçait qu’un triste déjeuner pour le lendemain.

Au point du jour toutefois, notre pavillon avait été signalé, — ce qui prouvait l’utilité du conseil de Mme  Bonhomme, — et le janissaire du consulat français venait nous offrir ses services. J’avais une lettre pour le consul, et je demandai à lui être présenté. Après être allé l’avertir, le janissaire vint me prendre et me dit de faire grande attention, afin de ne toucher personne et de ne point être touché pendant la route. Il marchait devant moi avec sa canne à pomme d’argent, et faisait écarter les curieux. — Nous montons enfin dans un vaste bâtiment de pierre, fermé de portes énormes, et qui avait la physionomie d’un okel ou caravansérail. C’était pourtant la demeure du consul ou plutôt de l’agent consulaire de France qui est en même temps l’un des plus riches négocians en riz de Damiette.

J’entre dans la chancellerie, le janissaire m’indique son maître, et j’allais boimement lui remettre ma lettre dans la main. — Aspetta ! me dit-il d’un air moins gracieux que celui du|coloncl Barthélémy quand