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tourmens de son esclavage. Il la retrouve languissante, pâle, abattue, mais libre encore. Le bonheur qu’il avait rêvé près d’elle ne lui est donc pas interdit sans retour. Il demande sa main, il l’obtient, son espérance est comblée, quand le mari reparaît et vient lui demander sa vie. Fernand est blessé mortellement et vient expirer au sein de la famille qui allait devenir la sienne. Je ne sais si, dans cette rapide analyse, j’ai réussi à faire comprendre tout ce qu’il y a d’inexorable dans l’enchaînement des incidens dont se compose cette tragédie. Il n’y a pas une page qui ne porte l’empreinte de la vérité. L’art est partout et ne se montre nulle part. c’est un beau roman qui tient dignement sa place près de Marianna.

La conception de Madeleine est pleine de grace et de simplicité. Dans ce livre, M. Sandeau a voulu montre rl’homme réhabilité par le travail et l’accomplissement du devoir. Maurice a dévoré son patrimoine dans le désordre et l’oisiveté. Las de la vie qu’il mène depuis quelques années, trop faible pour changer de conduite, trop fier pour avouer sa pauvreté à ses compagnons de plaisir, il a résolu de se tuer. Il envisage la mort sans effroi, et cependant il ne se presse pas d’éxécuter son projet. Il est si parfaitement convaincu de la nécessité du suicide, qu’il ne craint pas que la réflexion puisse ébranler son courage ou éveiller en lui de nouvelles espérances. Madeleine a deviné le projet de son cousin ; pour le sauver, elle se fait pauvre comme lui. Dans les lettres de Maurice à son père, elle a surpris le secret de son désespoir ; le père mort, elle accourt et lui dit : « Je n’ai rien, j’ai compté sur vous. » Il y a dans ces paroles toutes la régénération de Maurice.

Dès que Maurice comprend, en effet, qu’il peut être utile à quelqu’un, qu’il y a dans sa vie un devoir impérieux, sans renoncer à son projet, il l’ajourne ; il n’abandonne pas la pensée du suicide, mais il consent à vivre pendant deux ans pour Madeleine. Ce répit suffit à la jeune fille pour transformer, pour régénérer, pour réhabiliter l’ame désespérée de son cousin. Je ne sais rien de plus touchant, de plus naïf, de plus vrai, que la vie de Maurice et de Madeleine dans une mansarde de la rue de Babylone. Là, chaque heure de la journée est sanctifiée par le travail : Madeleine peint des boîtes de Spa, Maurice sculpte le chêne et le poirier. La famille Marceau, établie dans la même maison, au même étage, compose un tableau charmant. Maurice, en voyant le bonheur de Marceau et de sa femme, comprend toute la grandeur, toute la sainteté du travail. Ursule, sœur de lait de Maurice, qui a voulu accompagner Madeleine, bonne, franche et railleuse, égaie de ses reparties l’intérieur de ces deux ménages. Un jour, Maurice reçoit une commande importante ; il s’agit de sculpter une sainte Elisabeth de Hongrie pour un riche Anglais dont la famille est demeurée fidèle au culte catholique. Malgré lui, sans le savoir, Maurice trouve dans le