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qui, déduction faite des frais évalués au tiers, laisseraient une douzaine de mille francs de profit. Ce résultat est si extraordinaire, que nous avons peine à croire qu’il ne se soit pas glissé une erreur dans les chiffres. Au surplus, si on multipliait les nopaleries au-delà des besoins assez limités du commerce, le prix de la cochenille tomberait, et le bénéfice serait bientôt réduit.

Entre les agronomes et les économistes, il y a dissentiment sur l’opportunité de certaines cultures, comme celle de la vigne et de l’arbre à thé. M. Moll déclare que la fabrication du vin devrait être, sinon interdite franchement à l’Algérie, du moins neutralisée par des entraves fiscales. « Ce n’est pas, dit-il, pour avoir plus de vin et accroître la pléthore sous laquelle succombe déjà notre industrie vinicole que la France fait tant de sacrifices. » Ce principe, application menteuse d’un vieux système colonial qui tombe en ruine, conduirait à la négation de l’Algérie. On aliénerait le droit de refuser de semblables privilèges aux autres branches de l’agriculture métropolitaine, menacées par la fertilité de l’Afrique. Heureusement la protection n’est pas nécessaire à nos vignerons. Malgré les ceps gigantesques qui supportent fièrement leurs innombrables grappes, malgré les deux ou trois récoltes que donne chaque année une variété connue dans la basse Italie sous le nom de vigne d’Ischia, l’industrie vinicole ne se développera pas de long-temps en Algérie. Quelques propriétaires céderont à la tentation de produire des vins de liqueur comme ceux de l’Espagne : on enverra des raisins frais dans les villes du littoral, des raisins secs à l’étranger, peut-être même quelques pauvres laboureurs essaieront-ils de faire du vin pour leur propre consommation ; mais cette boisson mal famée, enchérie par le haut prix des transports, ne pourra pas se présenter dans le commerce en concurrence avec les vins de France. Tout fait espérer au contraire que les départemens voués à la culture de la vigne trouveront en Algérie les dédommagemens que réclame leur triste situation. Déjà la consommation de leurs vins s’y est élevée à près de 7 millions de francs. Qu’on suppose une population bien assise, dans une phase régulière de croissance, et on entreverra pour nos malheureux vignerons un retour bien désirable de prospérité.

Les objections faites à la plupart des spécialités lucratives ont été reproduites par les agronomes à l’occasion de la soie et du thé. On reconnaît que la multiplication du mûrier est rapide en Algérie, que le climat n’est pas assez chaud, surtout dans les parties montagneuses, pour nuire à l’éducation du ver à soie ; mais, ajoute-t-on, les soins continuels, les innombrables manipulations qu’exige l’art séricicole ne laissent des profits que dans les pays à la fois populeux et pauvres, où le travail est assez rare pour que la main-d’œuvre reste à très vil prix. Telle n’est pas présentement la situation de l’Algérie, où les journaliers