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une bête bovine adulte, ou son équivalent en menu bétail, par un hectare et un quart. M. le maréchal Bugeaud disait il y a peu de jours, au concours agricole d’Évreux : « On peut arriver, par la bonne culture des prairies artificielles et des racines, à deux têtes par hectare. » Si le conseil est bon pour nos départemens du nord, à plus forte raison pour l’Algérie. Cette proportion, qui donnerait aux grandes fermes des troupeaux considérables, peut être atteinte aisément par l’achat des bêtes maigres à l’époque où les Arabes ne peuvent plus les nourrir. La culture prévoyante de l’Européen défie les saisons. Les bêtes acquises à un prix bien inférieur à ce qu’elles auraient coûté si elles étaient nées chez l’éleveur seront rapidement engraissées par un bon régime et revendues avec un notable bénéfice. C’est le moyen de réaliser très avantageusement plusieurs produits secondaires de la ferme. On estime qu’avec une nourriture succulente un bœuf peut acquérir par jour un kilogramme de poids. Deux mois au plus suffisent pour l’engraissement de la bête à laine, de sorte que le troupeau, renouvelé au moins deux fois, peut donner par tête une plus-value de 6 à 8 francs, sans compter le fumier et la toison. Les deux branches les plus importantes, jusqu’à ce jour, du commerce des indigènes avec l’Europe, les peaux brutes et les laines, ne peuvent manquer de prendre dans l’avenir une extension considérable. Il n’y a pas de grands profits à espérer du laitage dans un pays où le beurre est généralement remplacé par l’huile. Pour tirer un bon parti du lait, il faudrait améliorer les fromages que vendent les indigènes, et en établir la renommée au point d’en faire un produit d’exportation. Les trappistes ont chance d’y réussir.

Beaucoup d’autres animaux domestiques donneront des profits aux colons intelligens, soit qu’on les réserve pour la vente, soit qu’on les utilise pour le travail. Le sobre et docile serviteur de l’Arabe, le chameau, qui ne réclame ni soins ni dépenses, sera adopté par l’Européen ; déjà il représente sur les marchés une valeur de 150 francs, qui sont, pour ainsi dire, de l’argent trouvé. Les ânes, à très bas prix aujourd’hui, parce qu’ils sont petits, quoique lestes et robustes, pourraient, avec un bon régime, acquérir les puissantes proportions d’une belle race qu’on élève à Tunis, et trouveraient alors un débouché certain dans le midi de l’Europe. L’élève des mulets, qui se vendent plus cher que les chevaux, est déjà d’un bon revenu dans la province de Constantine. Le buffle, qu’il serait facile de naturaliser, rendrait des services pour les défrichemens. En tenant, à l’exemple des Arabes, de grands troupeaux de chèvres, on parviendrait sans doute à ranimer l’ancienne industrie des États barbaresques, la fabrication du maroquin.

On a dit qu’une seule chose suffirait pour indemniser la France des sacrifices qu’elle fait en Algérie, la facilité d’avoir des chevaux. La dégénérescence de la race chevaline en France est, à la vérité, un fait