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déplorable qui finira par compromettre la supériorité militaire de notre pays. La victoire, a-t-on dit, reste toujours aux gros bataillons. Le succès étant ordinairement décidé par les cavaliers, on peut dire que le sort de la guerre dépend, après le génie des chefs, d’une cavalerie nombreuse et bien montée. Napoléon, après les vigoureux coups de collier donnés à Lutzen et à Bautzen par ces conscrits que lui envoyait la France épuisée, s’écriait en se frappant le front : « Si j’avais eu de la cavalerie, j’aurais reconquis l’Europe. » Eh bien ! après avoir fourni sous l’ancien régime les meilleurs chevaux de guerre, après avoir établi des races d’une admirable variété pour tous les services, la France en est venue à solliciter les rebuts des nations voisines. Il en est chez nous de la race chevaline comme de mille autres choses : l’apparence est favorable, la réalité désolante. Qu’on ouvre la statistique agricole publiée par le gouvernement en ces dernières années, on trouvera que nous possédons 2,818,496 têtes, en chevaux, jumens et poulains. C’est là un beau chiffre, assurément ; mais, lorsqu’on arrive aux détails, on trouve que la moyenne d’estimation est de 172 francs pour les chevaux, 146 pour les jumens, 70 pour les poulains, qu’à Paris même, où tant de chevaux de luxe sont rassemblés, la valeur moyenne ne s’élève pas au-delà de 413 francs. Ne faut-il pas conclure que les neuf dixièmes de notre richesse chevaline consistent en pauvres bêtes, bonnes pour charrier le fumier ou traîner des cabriolets de place ? En effet, malgré les facilités qui leur sont accordées par notre système de remonte, nos éleveurs ne peuvent fournir que 6,000 chevaux au plus sur les 10,000 dont l’armée a besoin pour réparer ses pertes annuelles. Le surplus est demandé à l’étranger : il en est de même à peu près pour les industries qui réclament des chevaux d’un bon service. De 1832 à 1840, l’importation moyenne a été de 38,464 têtes par année : les exportations ont réduit ce nombre à 30,000 environ. Les chiffres d’achats et de ventes pour 1844 sont un peu plus favorables. On a introduit 28,294 chevaux et poulains, d’une valeur approximative de 12 millions, et notre exportation n’a été que de 6,238 têtes. Au moyen du budget dont elle dispose, l’armée a, pour ainsi dire, le choix parmi les chevaux d’origine française ou étrangère. Il ne paraît pas que ce privilège lui assure des sujets bien distingués. On a constaté récemment (1839-1841) que dans les paisibles garnisons de Paris, Versailles, Saint-Germain et Saint-Cloud, la perte annuelle avait été de 24 pour 100 ! Que serait-ce donc au milieu des fatigues d’une guerre ? Quelles doivent être les souffrances de notre cavalerie sous le ciel d’Afrique ? L’effectif de paix à 51,000 chevaux n’est jamais atteint chez nous : on n’ose prévoir ce qui arriverait s’il fallait porter subitement l’armée au pied de guerre, qui exige 107,000 chevaux. Même à force d’argent, on n’aurait pas la certitude d’obtenir des montures médiocres. La crise de 1840 exhaussa les prix de plus de 25 pour