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pour ainsi dire, en commun par les juges que le public accepte la critique a plus de liberté, plus de mouvement, une vie plus variée, des allures plus sincères. M. Wienbarg, M. Mosen, M. Stahr, M. Gutzkow, plusieurs autres encore, ont donné d’utiles exemples ; on peut dire qu’ils composent, d’un bout à l’autre de l’Allemagne, une assemblée de bons esprits délibérant en liberté sur cette renaissance tant souhaitée de la poésie dramatique dans le pays de Goethe et de Schiller. Il s’en faut qu’ils soient toujours d’accord ; l’homme du nord et l’homme du sud ont leurs prédilections, leurs antipathies ; qu’importe ? tout cela profite au mouvement de la discussion, et le jugement définitif y gagne. Eh bien ! le drame de M. Halm a été et est encore un des plus vifs sujets de controverse. On s’était étonné d’abord du succès de la pièce : quoi donc ! un poète dramatique à Vienne ! Que pouvait être la poésie sur une scène où la liberté n’existe pas ? Aussi la sévérité était en éveil, et, tandis que Vienne applaudissait avec enthousiasme et proclamait le nom du poète, les critiques du nord examinaient de près l’ceuvre nouvelle si bruyamment annoncée.

On alla un peu loin d’abord, et la rigueur fut grande. M. WVienbarg, M. Stahr, M. Mosen, signalèrent avec amertume les défauts de cette tragédie aimable. Le plus grave reproche s’adressait au choix même du sujet : cette histoire de Griseldis convenait-elle au temps où nous sommes ? Était-ce la mission du poète de montrer la femme si abaissée, si prompte à abandonner ses droits les plus sacrés ? Nos ardens critiques sont aujourd’hui fort scrupuleux sur ces questions, et je les en félicite. Le théâtre exerce une action trop directe pour qu’on s’abstienne de discuter sévèrement l’esprit caché des œuvres confiées à la scène. Cet examen vigilant fait partie de la tâche imposée aujourd’hui, en Allemagne plus que partout ailleurs, aux écrivains qui veulent servir la société moderne. Seulement M. Wienbarg et M. Stahr ne se trompaient-ils pas ? Quand ils accusent l’immoralité de Griseldis, ils oublient précisément l’intelligente hardiesse avec laquelle M. Halm a transformé la légende ; ils oublient le dernier acte et cette réparation accordée au caractère de l’héroïne, ce retour inattendu d’une dignité si haute. Non, ce n’est pas là que doit porter le reproche. Ce qu’il faut blâmer dans le drame de M. Halm, disons-le sans crainte après avoir mis en lumière la noble idée qui le couronne, ce qu’il faut blâmer, c’est le ton général, c’est la couleur du style et des pensées. L’exécution, en un mot, ne répond pas à la conception première. Cette douceur harmonieuse, où l’on ne sent nulle part une force cachée, a je ne sais quoi de fade et d’amollissant. Sous leur costume séculaire, ces antiques personnages du monde féodal montrent beaucoup trop souvent la coquetterie, l’élégance apprêtée, les mignardises d’une société toute différente. La cour du roi Arthur devient un salon aristocratique de Vienne, et Ginevra semble