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possibles pour la main de la reine : le prince de Cobourg, le duc de Cadix et don Enrique. C’est ainsi que lord Palmerston respectait l’indépendance de l’Espagne, et faisait la part de la France, qui se serait vue de la sorte privée de toutes garanties. Cette situation humiliante, notre diplomatie ne pouvait pas l’accepter. Une lutte s’est engagée entre M. Bulwer et M. Bresson, dans laquelle ce dernier est resté vainqueur. Notre ambassadeur a su ramener complètement la reine Christine à la véritable politique de l’Espagne, en lui offrant de conclure en même temps les deux mariages de la reine Isabelle et de sa sœur, et en lui montrant une volonté ferme de ne pas se laisser vaincre dans ce conflit d’intrigues.

Nous sommes loin des termes de conciliation et de bonne entente dans lesquels on se trouvait au château d’Eu ; mais à qui la faute ? Il est évident, pour tout homme impartial, que lord Palmerston a porté dans la question d’Espagne un autre esprit, d’autres pensées, que lord Aberdeen. Il n’a pas eu surtout en vue, comme son prédécesseur, de n’agir dans cette affaire délicate que de concert et d’accord avec la France : n’est-on pas autorisé à penser qu’il a eu l’ambition d’agir seul et de substituer brusquement une autre solution à celle qui avait été loyalement concertée entre les deux gouvernemens ? Il se proposait aussi, par un coup décisif, d’entrer tout-à-fait dans les bonnes graces de la reine Victoria, qui avait le désir assez naturel de voir la reine Isabelle donner sa nain au cousin-germain du prince Albert. Auprès de toutes ces considérations, l’inconvénient de compromettre l’alliance anglo-française a disparu pour lord Palmerston. Sommes-nous donc destinés à retrouver en 1846 absolument le même homme qu’en 1840 ? Les leçons du passé seront-elles perdues pour un esprit aussi distingué ? S’il est vrai que, dans la note lue par lord Normanby à M. Guizot, lord Palmerston se plaigne de la conduite du gouvernement français, comme décelant un certain dédain de l’entente cordiale, le reproche n’est pas difficile à rétorquer : il n’y a qu’à remettre sous les yeux du ministre anglais tout ce qu’il a fait depuis quelques mois pour changer les termes dans lesquels lord Aberdeen avait laissé la question.

C’est là en effet que le gouvernement français devait chercher sa justification. Quand la nouvelle du double mariage fut devenue officielle, et qu’on eut commencé à s’en préoccuper des deux côtés du détroit, on comprend que le ministère ne fût pas sans inquiétude au sujet de l’impression qu’elle devait produire sur le gouvernement anglais. Nous ne sommes pas surpris qu’il ait essayé d’adoucir le mécontentement que devait éprouver lord Palmerston. A cette époque, le ministre whig n’était pas à Londres ; il accompagnait la reine Victoria dans ses excursions. Sitôt qu’il fut de retour, notre représentant, M. de Jarnac, dut le voir pour lui expliquer les motifs de la conduite du gouvernement français. Il dut surtout, à ce qu’on assure, insister sur ce qui avait été dit et arrêté entre le gouvernement français et lord Aberdeen. Tous ces faits, qui ont précédé la rentrée de lord Palmerston aux affaires, ont bien leur importance. Est-il vrai néanmoins que le ministre whig ait déclaré ignorer complètement les conversations et les engagemens réciproques du château d’Eu, qui ne seraient d’ailleurs à ses yeux que de simples paroles et non pas des actes ? Cependant des paroles sérieuses échangées entre les ministres de deux gouvernemens ont une valeur qu’il n’est pas permis de méconnaître au gré de sa fantaisie.