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présent qu’environ 25,000 livres sterling. Il faut de plus grandes ressources pour reconquérir un royaume, surtout quand dans ce royaume vous comptez à peine quelques partisans. On assure que Cabrera, interrogé à Londres sur les chances que pouvait avoir la cause carliste, n’a pas caché la vérité, qui, à ses yeux, était fort triste ; toutefois Cabrera est homme à commencer la guerre civile, même sans espoir. On le dit en ce moment en route pour Cadix. Il est un autre personnage qu’on a considéré comme pouvant à l’improviste insurger l’Espagne : c’est Espartero. Nous doutons que l’ex-duc de la Victoire soit bien pressé de s’exposer à de nouveaux hasards. Il ne peut ignorer le sort qui lui serait réservé si la fortune des armes lui était encore une fois contraire, et s’il était fait prisonnier. Il a en Espagne trois ennemis mortels qui ne sauraient lui pardonner : la reine Christine, les généraux Concha et Narvaez. On peut penser qu’Espartero ne quittera pas l’Angleterre. En parlant de la tranquillité de l’Espagne, nous ne prétendons pas que rien dans l’avenir ne doive la compromettre. Les factions n’abdiquent pas facilement ; la faction carliste surtout n’a pas renoncé à agiter un pays qu’elle ne saurait reconquérir et gouverner ; mais à cette heure la Péninsule est paisible, et toute tentative d’y troubler l’ordre y aurait peu de succès.

La situation intérieure de l’Angleterre se trouve chargée de difficultés assez grosses pour la gêner beaucoup, quant à présent, dans les manifestations de sa politique extérieure. Les combinaisons parlementaires qui menaçaient l’existence du cabinet whig n’étaient rien à côté du terrible embarras qui l’assiége aujourd’hui. La disette ravage l’Irlande. Les mariages espagnols devaient nécessairement passionner les esprits ; mais toute autre préoccupation politique s’est effacée des deux côtés du canal devant cette terrible préoccupation de la faim. Les protectionistes s’appliquent assez silencieusement à réviser les listes électorales, parce qu’ils se tiennent pour battus dans les chambres ; il n’est plus question d’organiser cette ligue qui devait rivaliser avec la ligue de M. Cobden et protester par des démonstrations populaires contre le pain à bon marché. Si lord Bentink accuse maintenant sir Robert Peel de n’avoir réalisé ni d’augmentation dans les apports, ni de réduction dans les prix, s’il se plaint de la rareté des vivres après l’introduction du libre échange, que serait-il donc arrivé du triomphe de lord Bentink et du maintien des droits d’entrée ? Le nouveau leader se tire pourtant d’affaire en assurant que la disette de pommes de terre, qui a servi de prétexte aux mesures libérales de sir Robert Peel, était l’année dernière aussi factice qu’elle est cette année malheureusement véritable ; or, cette année même, à croire lord Bentink, le fléau ne s’est ainsi produit que par un juste jugement de Dieu, qui punit le gouvernement d’avoir calomnié la bonne récolte dont sa providence avait d’abord favorisé l’Irlande. Ex machina Deus : ce n’était pas seulement lord Bentink, c’était le Tout-Puissant qui ne voulait pas du corn-bill ; chacun se venge à sa manière.

En Irlande, l’agitation purement politique ne fait pas plus de bruit qu’en Angleterre ; les orangistes ont oublié les inquiétudes que leur donne la bonne intelligence d’O’Connell avec les whigs ; la jeune Irlande, à peu près anéantie du premier coup, se réserve et se ménage ; à peine quelques déclarations publiques sont-elles venues çà et là révéler ce fonds caché de dissidence. O’Connell lui-même n’a pas causé de joie bien éclatante en annonçant la condamnation prononcée par le