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REVUE. — CHRONIQUE.

l’état. Que le gouvernement grec continue toujours à prendre les affaires d’un point de vue aussi relevé, il réussira sûrement à préparer les destinées nouvelles d’une nation qui a certes mérité de vivre deux fois.



REVUE LITTÉRAIRE.

Nous assistons depuis quelque temps à un déplacement de la vie littéraire L’activité des intelligences se porte en des voies sérieuses où elle se concentre de plus en plus et s’acclimate. L’histoire, la critique, l’érudition, gagnent des forces nouvelles au moment même où l’imagination lutte avec peine contre l’influence persistante et funeste de l’improvisation quotidienne. En France surtout, le contraste que nous indiquons se prononce avec une netteté croissante. Le roman-feuilleton n’a pas cessé, il est vrai, d’être le rendez-vous des folles prétentions et des grossiers appétits ; mais ces infatigables voyageurs, que le public s’est plu quelquefois à suivre dans leurs courses aventureuses, continuent aujourd’hui au milieu d’une indifférence générale leur interminable odyssée. Il semble que l’improvisation ait aussi ses limites, et que la lassitude gagne enfin jusqu’aux plus déterminés émules de ces Epidydymes aux entrailles de fer dont nous parlait dernièrement un savant et spirituel écrivain. Au théâtre, les talens qui étaient les soutiens de la scène ont disparu ou se retirent de l’arène. Parmi ceux-là, M. Scribe seul paraît se préparer encore à courir vaillamment la fortune ; mais l’auteur d’Hernani garde le silence, et M. Dumas est depuis long-temps perdu pour ce qu’il appelle l’art sérieux. Au lieu d’une joute glorieuse, nous assistons au conflit des ambitions vulgaires ; on se donne misérablement en spectacle au public, sans doute parce qu’on n’a plus la force de le convier à de plus nobles jeux. Le théâtre attend des lutteurs nouveaux, qui nous délivrent de ces puérilités fanfaronnes, de ces vanteries de mauvais goût, dont toute la tactique voudrait déguiser un appauvrissement incurable et des dépits profonds, mais qui ne trompent personne, même lorsqu’on les croit le plus ingénieusement trouvées. Le public est plus clairvoyant que vous ne le voudriez ; rien, croyez-le, ne peut masquer vos chutes récemment accumulées au théâtre. Il vaudrait mieux avouer qu’on va chercher sur des scènes inférieures des succès que refuse obstinément la scène littéraire. Les lettres sont d’ailleurs toutes consolées d’un abandon qui ne date pas d’hier. D’heureux symptômes se manifestent ; de jeunes esprits, éclairés par une chute si profonde, sont déjà entrés en lice, et tout fait espérer un meilleur avenir.

Pendant que se trahit de plus en plus la fatigue des bruyans héros du drame et du roman-feuilleton, sur un autre point du domaine littéraire la vie semble prendre une nouvelle activité. Les études historiques continuent leur mouvement sous l’influence des esprits éminens qu’elles retiennent ou qu’elles attirent. M. Thiers met la dernière main à son Histoire du Consulat et de l’Empire, noble et sévère monument que nous pourrons bientôt contempler dans toutes ses parties. M. Mignet achève le grand ouvrage qui l’occupe depuis si long-temps, et où il retrace les destinées de la réformation. C’est à l’histoire aussi que M. Mérimée