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— Le petit oiseau est déjà apprivoisé, reprit le père Boinet en souriant ; il se trouve mieux dans sa cage bien chaude et bien close qu’au milieu des champs, et, comme je suis content de lui, je vais lui donner la becquée.

À ces mots, il tira de sa poche un cornet de papier, et, le versant dans le tablier de Félise, il ajouta : — Allez grignoter ces pralines au coin du feu, ma gentille petite fille.

— Je prévois, mon père, qu’elle va devenir votre favorite, dit la supérieure en flattant la joue de Félise du bout des doigts ; si elle est bien sage, bien obéissante, elle sera aussi mon enfant de prédilection. Voyez donc comme elle va être heureuse avec nous !

— C’est égal, je m’en irais bien volontiers quand il fera jour, murmura l’enfant avec un soupir et en tournant son grand œil clair vers le père Boinet.

— Ah ! mon père, dit la sœur Geneviève navrée, j’ai grand’peur qu’elle n’ait jamais la vocation.

— En ce cas, nous ne la retiendrions pas, mon enfant, répondit avec vivacité la supérieure ; il vaudrait mieux qu’elle tâchât de faire son salut dans le monde que de se damner dans le cloître.

Le père Boinet hocha la tête et dit simplement : — Dieu disposera.


III.

Malgré les soins, les marques d’affection et les petites flatteries que l’on prodiguait ordinairement dans les couvens aux nouvelles pensionnaires, l’on ne réussit pas complètement à apprivoiser Félise. C’était une nature tout à la fois opiniâtre et fantasque, qu’il était impossible de dominer soit par la douceur, soit par la sévérité ; elle ne craignait personne et n’avait d’amitié que pour la sœur Geneviève. Elle finit pourtant par se soumettre aux devoirs faciles qui lui étaient imposés ; au lieu de se révolter à chaque instant contre la maîtresse des pensionnaires, d’exprimer en termes fort peu mesurés ses petites volontés, de bouleverser la classe et le dortoir par sa pétulance, elle apprit à marcher posément et à employer les formules bienséantes et chrétiennes en usage dans la maison. Ce fut à peu près tout ce qu’on obtint d’elle pendant les premiers mois qu’elle passa au couvent.

Dans ce laps de temps, la sœur Geneviève prononça ses vœux. Cet engagement irrévocable n’était pas accompagné comme la prise d’habit de cérémonies solennelles et lugubres. Sans apparat, presque sans formalités, la novice promettait de garder fidèlement ses vœux religieux et recevait le voile noir des mains de la supérieure, ensuite elle signait l’acte authentique de sa profession.