Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je me suis habillée et coiffée au hasard, presque sans lumière, dit Félise en s’approchant d’un grand miroir incliné où sa figure se réfléchit de la tête aux pieds. Elle avait mis une robe de taffetas gris d’argent avec le corps de jupe pareil, sans aucune espèce de broderie ni de passement ; mais la simplicité de cet ajustement, que Suzanne avait fait faire pour les sorties du dimanche, était relevée par les précieux joyaux que Félise avait tirés de l’écrin ; les ondes noires de sa chevelure étaient entremêlées de longs rangs de perles rattachées avec des diamans, une chaîne de pierreries entourait son corsage et retombait jusqu’à la ceinture. Ce riche et sévère costume seyait admirablement à la taille de reine, à la beauté souveraine de Félise ; elle le comprit, et, relevant la tête avec un mouvement d’orgueil et de joie inexprimable, elle dit à Mme de Favras, qui entrait :

— Me voici prête, allons !..

— Encore un moment, dit Angèle, il faut égayer avec des fleurs cette parure un peu sombre. — Et, de ses mains, l’aimable jeune fille attacha au corsage de Félise un bouquet de roses et de jasmin d’Espagne pareil à celui qu’elle portait sur sa robe de damas blanc.

Lorsque Félise parut dans le salon, conduite par Mme de Favras, un murmure d’admiration s’éleva de tous côtés ; les danseurs s’arrêtèrent, les joueurs de lansquenet oublièrent une minute les cartes : l’effet qu’elle produisait fut universel. Il y avait dans cette triomphante beauté quelque chose de saisissant et d’étrange ; elle faisait songer aux femmes des temps passés, aux héroïnes de l’Arioste, aux belles Florentines du Décameron. Cette noire chevelure, ces sourcils droits, ces yeux dont l’azur pâle et lumineux éclatait sous de longues paupières, ce regard tantôt froid comme un glaive, tantôt triste et brûlant, le plus souvent rêveur, toutes ces singularités, tous ces contrastes, faisaient de cette jeune fille une créature étrange et charmante que l’on ne pouvait regarder sans curiosité, sans intérêt, sans émotion. Elle comprit ce premier triomphe, et en fut enivrée ; il lui sembla qu’elle prenait en ce moment sa place véritable, et que sa beauté la faisait reine dans ce monde qui l’entourait de ses hommages et de ses admirations.

Cependant les joueurs de lansquenet avaient relevé leurs cartes, les danseurs achevaient le grave menuet, un moment interrompu, et les douairières continuaient leur conversation autour d’une table de bassette. Félise fit d’abord le tour du salon, conduite par Mme de Favras. Quand elle eut salué Mme de Manicamp, la vieille dame la regarda fixement, et s’écria : — Je ne m’étonne plus, mademoiselle, de ce qu’on m’a raconté ; votre beauté est un rare trésor qu’il faut cacher sous peine des plus grands malheurs ; partout où vous paraîtrez, vous ferez des infidèles, des jaloux et des malheureux ! — Après avoir débité ce compliment, elle baisa Félise au front, et, se tournant vers la dame qui se trouvait à son côté, elle lui dit à demi-voix : — Elle m’a rappelé Mlle de