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un rayon assez étendu, à plus forte raison dans les eaux mêmes de l’archipel, et ces droits ont une grande valeur dans ces parages fréquentés par des bandes de thons. On sait que ces poissons se montrent chaque année en nombre immense dans le voisinage de Gibraltar, puis semblent se diviser en deux colonnes, dont l’une suivrait les rivages d’Afrique, tandis que l’autre longerait les côtes d’Europe. Leur apparition successive dans diverses localités, leur disparition inexplicable à l’approche du froid, ont long-temps fait croire à de véritables migrations semblables à celles des oiseaux. Sous ce rapport, on rapprochait les thons des harengs et des maquereaux, regardés aussi de tous temps comme des poissons voyageurs ; mais M. Valenciennes, confirmant par des observations personnelles les doutes émis déjà sur ce point par Lacépède et Noël de la Morinière, a démontré que ces prétendus voyages n’existent pas. Ni les thons, ni les harengs, n’abandonnent leur contrée natale. Seulement, pendant l’hiver, ils vont chercher un abri contre le froid à des profondeurs que le filet ne peut atteindre. Lorsque le soleil a réchauffé la surface des mers, lorsqu’arrive pour eux le moment de la reproduction, ils abandonnent ces abîmes et viennent le long des côtes voisines déposer leurs neufs dans des eaux chaudes et peu profondes.

Quoi qu’il en soit, le thon est pour les parages qu’il fréquente une source de richesse. Frais, salé ou mariné, il est l’objet d’un commerce considérable et qui chaque année remue des millions. Aussi l’homme lui a-t-il de tout temps fait une guerre des plus acharnées. Aristote, Pline, Athénée, Oppien, nous ont transmis des détails sur les procédés de pêche employés de leur temps. Depuis lors, chaque siècle, chaque peuple semble avoir cherché à fournir son contingent d’inventions meurtrières. Le plus formidable moyen qu’ait imaginé l’esprit humain pour atteindre ce malheureux poisson est sans contredit la madrague, employée, dit-on, pour la première fois, par les habitans de Martigues. Ce n’est plus ici seulement le libouret des Bayonnais ou le grand couple des Basques, lignes gigantesques qui portent des centaines d’appâts et que traînent des barques manœuvrées par huit ou dix hommes ; ce n’est pas non plus la courantille des Provençaux, espèce de seine de quinze cents à deux mille pieds de long, qu’on promène quelquefois sur un espace de deux ou trois lieues. La madrague est un véritable parc avec des allées de chasse aboutissant à un vaste labyrinthe composé de chambres qui s’ouvrent les unes dans les autres, et conduisent toutes à la chambre de mort ou corpou placée à l’extrémité de la construction. Pour enfermer cet enclos dont les murs ont quelquefois plus d’une lieue de développement, pour élever cet édifice, on emploie d’immenses filets lestés de pierres, soutenus par des bouées de liége et amarrés avec des ancres, de manière à résister pendant toute la belle saison aux plus violens coups de mer. On comprend que le