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que cinq cent mille habitans. Quelques voyageurs se sont arrêtés à un million. D’autres enfin, portant le nombre des artisans de diverses professions à deux cent cinquante mille, la population des bateaux au même chiffre, et celle du reste de la ville à un million, ont découvert que Canton renfermait quinze cent mille ames. Sans prétendre me prononcer sur une question aussi épineuse, je me bornerai à faire observer que tous ces calculs reposent sur des élémens vagues et incertains, qu’en pareille matière et dans un pays comme la Chine les étrangers se trouvent réduits aux conjectures, et que ces derniers, mais particulièrement les Français, sont pour la plupart singulièrement portés à l’exagération, quand ils parlent du Céleste Empire.

Les Cantonais sont en général de taille assez haute. La race chinoise ne présente pas cette grande variété de types qu’on remarque dans les races européennes. Inférieure à celles-ci en énergie physique, elle est moins sujette aux difformités, qui chez elle sont presque toujours la suite d’accidens[1]. Le teint des Chinois est jaunâtre : cependant il n’est pas rare de rencontrer des individus entièrement blancs, surtout dans le nord. Le nez court et épaté, les narines très développées et un peu relevées sur le devant, les pommettes saillantes, de grandes oreilles, les yeux petits, presque sans paupières et bridés, mais moins obliques qu’on ne se le figure en Europe, les mains fines et délicates, les doigts allongés, les pieds très petits, tels sont à peu près les caractères physiques des Chinois. Les cheveux sont noirs ; cependant il nous est arrivé de rencontrer quelques albinos qui excitaient une curiosité générale. On sait que les Chinois se rasent tout le devant de la tête, les tempes et la nuque, de manière à ne conserver qu’une calotte d’environ quatre ou cinq pouces de diamètre, d’où une longue queue, augmentée d’une partie postiche formée de cordons tressés, traîne presque sur les talons. La limite entre la partie tondue et la partie chevelue de la tête est marquée, chez quelques jeunes fashionables, par une auréole de poils droits et hérissés de la longueur d’un doigt. L’usage de se raser la tête ne date en Chine que des derniers princes de la dynastie ming, celle qui précéda la dynastie tartare, dont l’avènement remonte à 1644. Cet usage est aujourd’hui profondément invétéré. Il n’y a guère que les mendians, les prisonniers et les tribus insoumises des montagnes qui n’aient point le devant de la tête rasé. Couper la queue d’un Chinois, c’est lui faire le plus sanglant outrage. Aussi les prisonniers de guerre que les Anglais dépouillèrent de ce bizarre ornement avant de les relâcher furent-

  1. Il faut faire exception pour les habitans de la province du Kouang-toung, qui paraissent très sujets aux maladies cutanées. La plupart des gens de la basse classe ont sur la peau du crâne des marques d’ulcères. Beaucoup d’entre eux sont affligés de loupes d’un volume énorme. J’ai vu quelques-uns de ces malheureux porter au cou des excroissances charnues deux fois grosses comme leur tête. Les lépreux sont aussi très communs dans ce pays. C’est sans doute à l’horrible saleté des pauvres et à leur détestable alimentation qu’il faut attribuer ces tristes infirmités. Un rapport adressé il y a dix ans à l’empereur par un haut fonctionnaire de la province signalait un dépérissement physique très marqué parmi les habitans, et l’attribuait particulièrement aux incendies et aux inondations qui avaient plongé beaucoup de familles dans la misère ; mais c’est surtout dans l’usage immodéré de l’opium que le gouvernement chinois a cru découvrir la cause du mal. L’action enivrante et abrutissante de ce narcotique est un fait constant pour quiconque a étudié de près les Cantonais et leur genre de vie.