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un caractère commun qui est le caractère même de l’esprit chinois : c’est la recherche, c’est le culte du détail. On retrouve là, sur une grande échelle, le même effort de patience dont on admire la trace sur les joujoux en jade, en ivoire ciselé, qui remplissent les boutiques de Canton. Ce qui manque, dans cette foule de petits chefs-d’œuvre, c’est l’harmonie, c’est l’unité de l’ensemble, en un mot l’art véritable. Tout est joli, coquet, mais rien de plus.

Après avoir visité le premier corps-de-logis, nous entrâmes dans un de ces immenses labyrinthes de corridors et d’allées où les propriétaires des maisons eux-mêmes risqueraient de s’égarer, s’ils s’abandonnaient à quelque distraction. Un charmant petit garçon de dix à douze ans vint tout à coup à passer devant nous et me salua d’un mouvement de tête plein de grace et d’affabilité. Il ne tarda pas à s’approcher de moi pour me présenter la main. C’était le second fils de Poun-ting-koua et de sa femme légitime, qui venait me faire les honneurs de la maison. La figure de cet enfant était d’une rare douceur. En général, l’enfance ne se présente dans aucun pays sous des traits plus gracieux, plus délicats qu’en Chine. Mon jeune cicérone me conduisit d’abord dans un petit jardin compris entre quatre murs élevés, sur l’un desquels on lisait le nom de Ki-ing inscrit en caractères gigantesques. De là, nous montâmes dans un nouvel appartement plus somptueux que tous ceux que je venais de parcourir. J’y admirai surtout des ciselures sur bois de toute beauté et plusieurs grands tableaux de fleurs. Je visitai ensuite un jardin dans lequel on avait amoncelé des roches de formes bizarres et pratiqué des ponts sur de petits étangs, selon la coutume chinoise. C’est près de là que se trouvent les maisons des femmes de Poun-ting-koua. J’aperçus pendant quelques instans à une fenêtre une assez jolie personne qu’on me dit être son épouse légitime, dont on vante les manières distinguées, la bonne éducation et l’aimable caractère. Le sérail est divisé en un certain nombre de compartimens dont chacun est habité par une des épouses de Poun-ting-koua. Quelques figures de femmes, que j’entrevis en passant, n’avaient de remarquable que l’épaisse couche de fard dont elles étaient recouvertes. Poun-ting-koua, dit-on, a acheté sa femme principale deux mille piastres, et chacune de ses concubines mille piastres, ce qui représente un capital d’environ 70,000 francs. Il fait loger huit de ces dames dans l’habitation de la rue Ta-toung-kaï ; les quatre autres sont réparties dans différens quartiers de Canton, sans doute afin d’éviter que la discorde n’éclate dans le ménage.

Poun-ting-koua possède, à quelques milles à l’ouest de Canton, une fort jolie maison de campagne, où l’on se rend, soit par un canal qui traverse les faubourgs, soit en remontant la rivière, qui forme un coude près de cette propriété. On peut se former une idée assez exacte de l’horticulture chinoise, en visitant, dans tous ses détails, le vaste et curieux jardin au milieu duquel s’élève la maison de plaisance. On y rencontre à chaque pas des monticules, des amas de rochers disposés en grottes, de petits ponts jetés sur des ruisseaux et sur des étangs, où le lotus, si recherché dans la cuisine chinoise, épanouit ses larges feuilles. De nombreuses allées s’entrecroisent dans tous les sens. De distance en distance, on rencontre de petits pavillons tapissés de plantes grimpantes. Ce qui manque dans ce jardin, ce sont les arbres, c’est la verdure. L’entrée la plus voisine du canal intérieur présente seule quelques rians massifs de feuillage.

La maison d’habitation, qui s’élève au milieu du jardin, se distingue par une