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quand elle s’échappa du palais, et que le cheval du roi, perdu par un maraud de palefrenier, avait à son mors des bossettes d’or au titre de vingt-trois carats.

Ce personnage n’est d’ailleurs que M. Poe lui-même, qui ne prend guère la peine de s’en cacher, et, dans les récits où il ne le fait pas intervenir, se substitue hardiment à lui.

Quel autre que ce chercheur de problèmes à résoudre se serait imposé la tâche de deviner quelles peuvent être les sensations posthumes de l’homme ou plutôt du cadavre, étendu d’abord sur le lit funéraire, puis au fond du cercueil, sous la terre humide, s’écoutant dissoudre, se regardant pourrir ? A qui serait-il venu dans l’esprit de raconter, de manière à la faire adopter par la raison, la catastrophe finale qui doit rendre au néant ce globe terrestre ? Toucher à ces grands secrets du trépas et de la fin du monde semble l’affaire des plus profonds penseurs, des méditations les plus longues, des systèmes les plus complets. Pour M. Poe, il ne s’agit que d’adopter une hypothèse, de poser un premier fait, et de lui faire engendrer, parmi ses conséquences probables et possibles, celles que l’esprit humain rattache entre elles le plus facilement et le plus volontiers.

Monos est mort ; Una, sa maîtresse adorée, l’a suivi de près dans les sombres royaumes du trépas. Ils se rencontrent : Una veut savoir de son bien-aimé ce qu’il éprouva naguère, à partir du moment où, près de lui désolée, elle le contemplait immobile, froid, défiguré, marqué du suprême sceau. Avec la vie, toute pensée avait-elle disparu ? Le divorce de l’ame et du corps est-il si brusque, si soudain, si complet, qu’avec le dernier râle s’échappe celle-là tout entière, ne laissant derrière elle qu’un bloc inerte ? Le commun des hommes répond affirmativement ; notre écrivain, peu effrayé de heurter le jugement de tous, s’inscrit en faux contre cette hypothèse, que personne ne saurait appuyer de, preuves certaines, et, sur sa négation solitaire, il édifie, aidé de la logique, son récit d’outre-tombe.

Ce n’est pas, à vrai dire, la première fois que la folle du logis viole ainsi les limites de la vie, ces limites infranchissables pour la raison, et devant lesquelles toute philosophie baisse les yeux, humiliée ; mais je ne crois pas qu’on ait jamais donné en se jouant, aux mémoires d’un mort, ce caractère de définition exacte et de conviction raisonnée. Il ne s’agit pas ici d’aventures fantastiques, de complications arbitraires, de dialogues plus ou moins remplis d’humour, mais bien d’une véritable monographie, patiente, méthodique, et qui semble aspirer à prendre : rang parmi les autres documens de la science humaine. M. Poe a déduit des phénomènes du rêve ceux de la sensibilité cadavérique ; il a pris au sérieux cette fraternité du sommeil et de la mort que tant de poètes ont chantée ; il en a fait un dogme philosophique, et de ce dogme