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En attendant, les cris, les applaudissemens, continuent : Du pain ! du pain ! du pain ! A la lanterne les aristocrates, mort aux marchands, aux spéculateurs ! Du pain ! du pain !

Une tente. — Quelques lampes. — Un livre ouvert sur une table. — Néophytes, c’est-à-dire juifs nouvellement convertis[1].
LE NÉOPHYTE.

Frères qui avez été avilis, frères qui voulez vous venger, frères que je chéris, désaltérons-nous dans ces pages du Talmud comme avec le lait sorti du sein de notre mère ; buvons à cette coupe de vie, à cette coupe pour nous pleine de force et de douceur, pour eux pleine de fiel, de misère et de destruction.

CHOEUR DES NÉOPHYTES.

Jéhovah seul est notre maître. Il nous a dispersés sur toute la terre, et nous savons pourquoi ; car ceux qui sur le globe adorent la croix, nous les entourons maintenant comme un serpent de ses terribles nœuds. Qu’ils meurent donc ces seigneurs imbéciles, orgueilleux et ignorans. Trois fois crachons sur eux ! trois fois maudissons-les !

LE NÉOPHYTE.

Réjouissons-nous, mes frères ! la croix, notre mortelle ennemie, sapée et pourrie, s’incline déjà sur une mare de sang. Une fois tombée, elle ne se relèvera plus, mais les seigneurs la défendent encore.

LE CHOEUR.

Notre tâche va donc enfin s’accomplir, tâche pénible, ardue et douloureuse ! Mort aux seigneurs ! Crachons trois fois sur eux ! trois fois maudissons-les !

LE NÉOPHYTE.

Sur cette liberté sans ordre, sur ce massacre sans fin, sur l’intrigue et la méchanceté, sur la stupidité et l’orgueil de ces hommes, nous reconstruirons Israël, nous le rebâtirons dans sa force ; mais, pour cela, il reste encore des seigneurs à égorger ! De leurs cadavres nous recouvrirons les débris de la croix.

CHOEUR.

La croix est devenue notre symbole, l’eau du baptême nous a réunis à eux. Les méprisans ont cru à l’amour des méprisés. La liberté est notre droit, le bien-être notre but. Les fils du Christ ont cru aux fils de Caïphe. Ce sont nos pères, il y a des siècles de cela, qui ont tué notre Ennemi. A notre tour, et de nouveau, nous le martyriserons, et il ne ressuscitera plus.

LE NÉOPHYTE.

Encore quelques momens, quelques gouttes encore du venin de la vipère, et le monde est à nous, mes frères.

CHOEUR.

Jéhovah seul est le seigneur d’Israël ; crachons trois fois à la face des peuples, et qu’ils périssent ! Trois fois anathème sur eux ! (On entend frapper.)

  1. L’auteur fait ici allusion à une secte nombreuse qui n’est pas un des moindres élémens de trouble renfermés au sein de la société polonaise. Les frankistes (tel est le nom de la secte) sont des juifs convertis, non pas à l’esprit du christianisme, mais à ses pratiques extérieures. En apparence, ils sont chrétiens ; ils ont reçu le baptême, commuaient, vont à la messe ; au fond, ils sont juifs, et n’attendent que le moment ou ils pourront faire servir leur position équivoque à la satisfaction de leurs ressentimens implacables.