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il nous avait peu habitués, nous avons l’heureuse certitude qu’elle ne lui a pas manqué dans la question espagnole. En effet, les deux pièces principales du débat, la note que lord Palmerston avait chargé lord Normanby de lire à M. Guizot, et la réponse de M. le ministre des affaires étrangères, sont aujourd’hui, sinon publiées, du moins connues dans le monde politique. On assure même que M. Guizot a envoyé une copie de l’une et de l’autre à nos agens diplomatiques avec ordre de les communiquer aux cabinets étrangers. C’est grace à ce commencement de notoriété que nous pouvons mettre sous les yeux de nos lecteurs les principaux termes de cette importante discussion.

C’est le 22 septembre que lord Palmerston adressait à lord Normanby la note qui, trois jours après, était communiquée à M. Guizot. Il commence par se plaindre que, lorsque le gouvernement français lui proposait de s’entendre à Madrid pour arriver d’un commun accord au mariage de la reine Isabelle, M. Bresson avait déjà reçu des ordres contraires pour tout terminer, d’où il suivrait que la question sur laquelle le chargé d’affaires de France proposait de délibérer à Londres avait déjà été décidée par les instructions adressées à l’ambassadeur de France à Madrid. Après ce reproche de duplicité, sur lequel il va revenir avec plus de force, lord Palmerston rappelle que, dans une conversation avec M. de Jarnac, il refusa de reconnaître qu’il y eût entre les rapports de parenté du prince de Cobourg avec la famille royale d’Angleterre et ceux du duc de Montpensier avec la famille royale de France une parité suffisante pour motiver un marché tel que celui que le comte de Jarnac prétendait avoir été fait. Le prince de Cobourg n’était que le cousin de la reine d’Angleterre, ce qui n’empêchait pourtant pas lord Palmerston de pousser en sous-main le prince Léopold, et ouvertement don Enrique pour la main de la reine. Aussi, quand dans le même entretien, le chargé d’affaire de France lui demanda d’ordonner à M. Bulwer, à Madrid, d’appuyer le duc de Cadix dans le cas où des obstacles insurmontables s’opposeraient au mariage de don Enrique avec la reine Isabelle, lord Palmerston déclina la proposition, en disant que, s’il ne pouvait recommander don François, il ne croyait pas avoir le droit de s’opposer au choix qui serait fait de ce prince. Représenter d’un côté l’Angleterre comme assistant avec une sorte d’indifférence impartiale au choix que la reine Isabelle devait faire d’un époux, montrer de l’autre la France employant tous les moyens pour arriver à un but déterminé, telle est la double pensée qui domine dans la première partie de la dépêche de lord Palmerston. Le ministre anglais ne craint pas d’accuser le gouvernement français d’avoir employé la contrainte morale, moral coercion, pour forcer la reine d’Espagne à accepter un prince qui n’était pas le candidat que le gouvernement britannique était disposé à présenter de concert avec la France.

Mais enfin, si le mariage de la reine d’Espagne avait été un acte isolé, s’il n’eût pas été associé au projet d’union du duc de Montpensier avec l’infante dora Luisa, le gouvernement anglais n’en aurait pas fait l’objet d’une communication officielle. Lord Palmerston voit dans cette connexion, non plus un arrangement de famille, mais une combinaison politique qui soulève de graves objections ; dès-lors c’est un devoir pour le gouvernement anglais de faire des représentations et une protestation formelle contre le mariage de M. le duc de Montpensier.

C’est ici surtout que se révèle la véritable pensée de la dépêche, qui a été