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autant que personne ; d’ailleurs l’Espagne a prouvé qu’elle savait maintenir cette indépendance, et elle la maintiendra d’autant mieux, que son régime constitutionnel s’affermit davantage. Le cabinet français avoue hautement qu’il veut entre lui et l’Espagne une vraie et solide amitié. Le mariage de M. le duc de Montpensier, en resserrant l’intimité des deux pays, affermira le repos de l’Europe. Le gouvernement français ne saurait donc admettre ni prendre pour règles de sa conduite les représentations adressées par lord Palmerston, et il invoque, pour le maintien de l’harmonie entre la France et l’Angleterre, le bon jugement et l’esprit d’équité du gouvernement et de la nation britannique.

Telle est en substance la réponse faite par M. Guizot à lord Palmerston. Elle nous paraît solide et péremptoire. La justification que nous demandions récemment au ministère, nous la trouvons dans ce remarquable document. Le gouvernement français, dans ses rapports avec le cabinet anglais sur la question d’Espagne, s’est montré loyal et fidèle à sa parole. La question nous semble avoir parcouru trois phases bien distinctes. Dès l’origine, le gouvernement français fait connaître les principes qu’il suivra dans toute cette négociation, et ces principes ont l’adhésion de l’Angleterre : le 27 février dernier, le cabinet des Tuileries notifie, tant à Londres qu’à Madrid, qu’il reprendrait toute sa liberté, si des combinaisons hostiles à la descendance de Philippe V prenaient de la consistance ; enfin, après la dépêche, en date du 19 juillet, de lord Palmerston à M. Bulwer, le gouvernement français propose au gouvernement de la reine Isabelle une double combinaison qui est acceptée. On en conviendra, la France a montré, dans toute cette affaire, beaucoup de patience et de franchise.

Lord Palmerston peut reconnaître maintenant qu’il n’a pas mis dans sa conduite toute la réflexion nécessaire, quand il a protesté contre les résolutions de la France, et quand il a exprimé l’espoir qu’elles ne seraient pas mises à exécution. Ne s’expose-t-il pas, par cette légèreté, à compromettre sa considération en Europe ? Maintenant les deux gouvernemens de France et d’Angleterre seront pour un temps dans des rapports délicats, difficiles, ce qui est un mal, on ne saurait le dissimuler, pour l’affermissement de la paix européenne et l’entière prospérité des deux pays. Seulement en 1846, pas plus qu’en 1840, les torts ne sont du côté de la France, et, si aujourd’hui l’Angleterre éprouve un déplaisir, c’est elle qui l’a cherché.

Pour nous résumer, l’Espagne a résolu heureusement la question épineuse du mariage de la reine, et en donnant l’infante dona Luisa à un prince français, elle a fait une chose utile pour son avenir. La France n’a-t-elle pas tout intérêt aux développemens de la puissance de l’Espagne, à la résurrection de sa marine et de son commerce ? Que l’Espagne se demande si l’Angleterre est vis-à-vis d’elle dans les mêmes sentimens. Quand le parti progressiste se met sous le patronage de l’Angleterre, il est dans une étrange illusion, ou il fait bon marché de sa puissance maritime et de la prospérité commerciale de l’Espagne.

Nos tristes pressentimens ne nous avaient pas trompés, les passions qui menaçaient d’éclater en Suisse sont parvenues à se faire jour. Genève est le théâtre d’une révolution déjà malheureusement ensanglantée, et dont les effets dépasseront à coup sûr les étroites limites du canton. Un soulèvement populaire a forcé le gouvernement à se retirer en masse, et les conservateurs ont perdu l’autorité, qui se trouve maintenant aux mains du parti libéral. Nous souhaitons que