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LÉONARD.

Mais de quoi as-tu peur ? Qui te retient ?

PANCRACE.

Personne ; ma volonté seulement.

LÉONARD.

Et je dois la suivre aveuglément.

PANCRACE.

Tu l’as dit : aveuglément.

LÉONARD.

Tu nous trahis.

PANCRACE.

Comme le refrain d’une chanson, le mot trahison est au bout de chacun de tes discours. Mais ne crie pas si fort ; on pourrait nous entendre.

LÉONARD.

Il n’y a pas d’espions ici, et puis après, si on nous entendait ?

PANCRACE.

Je te ferais avaler une demi-douzaine de balles pour avoir osé élever d’un demi-ton la voix en ma présence. (S’approchant de lui.) Crois-moi, ne te tourmente pas.

LÉONARD.

Je me suis emporté, c’est vrai ; mais je ne crains pas la punition. Si ma mort est nécessaire, si c’est pour l’exemple, si elle doit servir la cause, ordonne.

PANCRACE, à part.

Il est ardent, plein d’espérance ; il croit sincèrement, profondément… Il est le plus heureux des hommes ; ce serait vraiment dommage de le tuer.

LÉONARD.

Que dis-tu ?

PANCRACE.

Pense davantage, parle moins, et plus tard tu comprendras. As-tu envoyé au magasin pour deux mille cartouches ?

LÉONARD.

J’ai envoyé Deytz avec une escorte.

PANCRACE.

Et la collecte des cordonniers est-elle rentrée dans notre caisse ?

LÉONARD.

La collecte s’est faite avec l’enthousiasme le plus sincère : ils ont apporté cent mille florins.

PANCRACE.

Je les inviterai demain à souper. As-tu entendu dire quelque chose de nouveau sur le comte Henri ?

LÉONARD.

Je méprise trop les aristocrates pour ajouter foi à ce qu’on pourrait dire de lui. Les races qui tombent n’ont point d’énergie ; elles ne doivent ni ne peuvent en avoir.

PANCRACE.

Il réunit pourtant ses vassaux, et, confiant dans leur attachement, il se dispose à se rendre aux forteresses de la Sainte-Trinité.