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à assister dans leurs opérations sur la côte de Gênes, le commerce anglais à protéger contre une multitude de corsaires, et, dans le port même de Toulon, une escadre sans cesse menaçante à surveiller et à contenir. Sidney Smith n’avait pas tout brûlé dans ce malheureux port : Nelson, qui éprouvait peu de sympathie pour ce grand parleur, avait déjà exprimé la crainte qu’il n’eût fait en cette occasion « moins de besogne que de bruit ; » en effet, au lieu de 17 vaisseaux français, comme on l’avait annoncé en Angleterre, il n’y en avait eu que 9 de détruits. Aussi, cinq mois à peine après l’évacuation de Toulon, l’amiral Martin avait pu prendre la mer avec 7 vaisseaux : chassant devant lui la division de l’amiral Hotham, il avait courageusement essayé de jeter des secours dans Calvi, assiégé par les troupes anglaises ; mais, poursuivi par la flotte de lord Hood, il avait dû se réfugier dans le golfe Jouan, où, embossé sous la protection des forts de l’île Sainte-Marguerite, il avait défié pendant plusieurs jours les attaques de l’ennemi.

Cette première tentative sur la Corse et l’activité que l’on continuait à déployer dans nos arsenaux auraient dû ouvrir les yeux à l’amirauté anglaise et lui faire comprendre le danger auquel pouvait se trouver exposée la flotte de la Méditerranée, si quelque important renfort, trompant la surveillance de la flotte de la Manche, parvenait à sortir des ports de l’Océan et à se joindre aux vaisseaux déjà réunis à Toulon. Tel était en effet le plan qu’avait conçu, vers la fin de l’année 1794, le comité de salut public, et il est certain que l’exécution de ce projet eût pu amener dans la Méditerranée les plus importans résultats. Malgré les pertes qu’elle avait éprouvées à Toulon et au combat du 13 prairial, la France possédait encore à cette époque un imposant matériel. 35 vaisseaux de ligne, 13 frégates et 16 corvettes ou avisos se trouvaient en rade de Brest, prêts à prendre la mer. Le 31 décembre 1794, cette flotte, déjà réduite d’un vaisseau qui s’était perdu dans une première sortie, mit sous voiles et se dirigea vers la haute mer. Elle était commandée par le vice-amiral Villaret-Joyeuse, sous les ordres duquel on avait placé les contre-amiraux Bouvet, Nielly, Van-Stabel et Renaudin. Ce dernier, avec 6 vaisseaux, devait se détacher de la flotte dès qu’on n’aurait plus à craindre la rencontre de l’armée anglaise, et entrer dans la Méditerranée pour y rallier l’amiral Martin. Malheureusement la plus affreuse pénurie régnait alors dans nos arsenaux. On n’y avait trouvé ni bois ni cordages pour réparer les vaisseaux désemparés dans la journée du 13 prairial, et, au moment de faire sortir une flotte aussi considérable, on n’avait pas même des vivres suffisans à lui donner. La farine et le biscuit surtout manquaient complétement. Avec beaucoup de peine, on était parvenu à fournir six mois de vivres à l’escadre destinée à renforcer la flotte de Toulon, mais les autres vaisseaux de la