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et peut-être un peu de sécheresse dans le schall et quelques parties secondaires, ce portrait est un de ses chefs-d’œuvre.

Le véritable génie de Prudhon, son domaine, son empire, c’est l’allégorie. Sur ce terrain, il retrouve ses mérites dans toute leur force. Les défauts de sa manière y sont moins sensibles et deviennent presque des qualités. Comme parmi ces allégories il préfère ordinairement celles qui présentent des images gracieuses, le charme de son exécution fait oublier et les incorrections du dessin et la monotonie des teintes. Ce ton vaporeux, cette espèce de crépuscule dans lequel il enveloppe ses figures, s’empare de l’imagination et la conduit sans effort dans un monde qui est de l’invention du peintre.

L’allégorie est fastidieuse quand le peintre, qui devrait avoir des ailes pour nous emporter dans des régions supérieures, se colle timidement aux détails de l’imitation et n’ose quitter le terre à terre de son sujet. Il arrive aussi que ce sujet peut être si ridicule et si mal choisi, qu’il enchaîne à son tour l’imagination la plus heureuse. Diderot se moque très justement du peintre Hallé, qui représente dans un tableau immense Minerve conduisant la Paix à l’Hôtel-de-Ville de Paris. Voici sa description en abrégé : « Imaginez au milieu d’une grande salle une table carrée, sur cette table une petite écritoire de cabinet et un portefeuille d’académie. Autour, le prévôt des marchands, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes, et les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène, où Minerve descend accompagnée d’une toute petite Paix que l’immensité du lieu et des personnages achève de rapetisser, et qui laisse tomber d’une corne d’abondance, etc., etc. « Pour vaincre, ajoute-t-il, la platitude de tous ces personnages, il aurait fallu l’idéal le plus étonnant, le faire le plus merveilleux, » et il a raison, car M. Hallé n’a ni l’un ni l’autre.

Mais que Rubens, ouvrant les portes du temple de Janus, en fasse sortir le terrible Mars foulant aux pieds les Arts, les Graces en deuil, dont il disperse les attributs ; qu’entraîné par les monstres de la Discorde et de l’aveugle Fureur, dont les torches se réfléchissent dans son armure en lueurs sinistres, il s’arrache aux bras de Vénus éplorée, tandis que la Paix, non la petite Paix de M. Hallé, mais une vraie immortelle, s’élance après lui, tendant vers le ciel, à travers ses longs crêpes, ses beaux bras impuissans, l’ame s’arrache facilement, pour suivre le peintre, aux vulgaires réalités ; elle est à l’aise et charmée au milieu de ces êtres dont l’action et les proportions la transportent pourtant si loin de tout ce qui lui est familier.

Si Prudhon montre Bonaparte vainqueur et pacificateur, il le place sur un char ; la Sagesse et la Gloire veillent sur lui et couronnent son