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obéissent. La Prusse même et la Tartarie font partie de notre héritage. Ainsi le décréta en mourant le vainqueur du monde dans sa blanche ville d’Alexandrie.

« Il conjura en outre ses trois protecteurs célestes, Mars, Pluton et Jupiter, de répandre leurs faveurs sur ses chers Slavons. Les trois déités ont promis de veiller nuit et jour sur la nation des Slaves, d’écarter d’elle les malheurs, et de venir constamment en aide aux douze princes qui la gouvernent, glorieux descendans des douze compagnons d’Alexandre. Voilà les dons qu’a faits à notre race le fils de Philippe. Et aujourd’hui encore, comme au temps d’Alexandre, l’héroïsme et la fidélité demeurent nos vertus distinctives. »


Dans le texte original de ce vieux chant populaire, les deux mots d’Illyrien et de Slave figurent comme synonymes. C’est un fait remarquable. Il serait difficile d’exprimer plus clairement l’intime parenté qui lie entre eux les divers rameaux de la souche slave. Cependant, quelque intimes que soient leurs affinités morales, ces divers rameaux n’en ont pas moins des idiomes et des littératures à part, expressions de nationalités différentes, et qu’il importe de caractériser.

Ces idiomes littéraires sont au nombre de cinq : le slavon, l’illyrien, le bohême, le polonais, le russe. Le nombre des individus parlant ces divers idiomes s’élève à quatre-vingts millions, sans compter les peuples soumis ou incorporés aux Slaves, et qui obéissent à des lois promulguées en slave. La première de ces cinq langues par l’ancienneté du développement littéraire est le slavon, ou la langue sacrée des églises d’Orient, idiome qui n’existe plus qu’à l’état de langue morte, à peu près comme le latin en Occident, mais qui forme par cela même le point de départ de toutes les littératures slaves. Les quatre langues vulgaires se groupent donc autour de ce religieux et primitif idiome, qui a possédé jusqu’à ce jour ses livres à part, ses écrivains et ses imprimeries spéciales.

Les autres langues slaves ont subi, comme les peuples, deux grandes influences, celle du génie grec et celle du génie latin. Au rite grec, et par conséquent à la civilisation orientale, appartiennent les deux langues illyrienne et russe. Les deux littératures polonaise et bohême se sont au contraire inspirées du latinisme, et la civilisation occidentale s’est combinée, dans leur développement, avec les idées slaves.

Le plus perfectionné, le plus lu, le plus influent de tous les dialectes slaves est sans contredit le polonais. Il ne faudrait pas néanmoins mesurer la puissance de cette langue à l’étendue du territoire, ni même au nombre d’hommes sur lesquels elle règne. L’étendue de territoire qu’embrasse l’idiome polonais paraîtrait presque insignifiante, comparée à l’étendue géographique des domaines de la langue russe. La puissance réelle du polonais doit donc se mesurer à l’étendue de son influence morale, et sous ce rapport on ne doit pas craindre d’affirmer que cet idiome lutte sans désavantage contre son rival moscovite. En