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des barons féodaux. Ce fut en 1751 que la principauté de Lunebourg vit célébrer à Voustrov le dernier office religieux en langue vende. Une destinée encore plus cruelle frappa les Slaves du Brandebourg, appelés Oukrainiens, parce qu’ils formaient comme la frontière (Oukraine) de la Pologne vers l’occident. Ces Oukrainiens furent presque tous exterminés, dès le XIIe siècle, par Albert, surnommé l’Ours. Cependant leur dialecte, appelé dialecte prussique, était encore parlé autour de Berlin au XVIe siècle ; mais, vers la fin du XVIIe, cet idiome, absorbé par la conquête allemande, n’était déjà plus connu que des vieillards. Les vieillards moururent, la langue s’éteignit, et les Prussiens perdirent bientôt le souvenir, mais non les traits distinctifs de leurs aïeux slaves : car la spontanéité, l’élégance, l’enthousiasme patriotique, tout ce qui rend les Prussiens supérieurs aux autres Allemands leur vient précisément de leur origine polonaise et slave. Cependant, loin de se laisser émouvoir par cette pensée en faveur de la Pologne, les Prussiens n’en semblent aujourd’hui que plus empressés de s’unir au reste de l’Allemagne pour étouffer la langue et la littérature polonaises ; mais on peut espérer que leurs efforts seront vains. Si même les puissances coalisées parvenaient à détruire la nationalité de la Pologne, elles ne détruiraient pas pour cela sa langue et sa littérature. Désormais cette littérature est devenue essentielle au développement du monde slave ; elle est le lien providentiel qui renoue ce monde avec l’Europe.

Immédiatement au-dessous du polonais se place l’idiome bohême, également divisé en trois variétés : le tchekh, le morave, le slovaque. Le bohême, par ses origines, se rattache si intimement au polonais, que ces deux langues paraissent, à l’entrée du moyen-âge, n’en avoir formé qu’une seule. Dans la théorie qui fait venir de l’Illyrie les trois nations, comme les trois langues slaves du nord, il est clair, en effet, que le dialecte plus tard appelé polonais, avant d’arriver en Pologne, dut d’abord traverser la Bohême, et y séjourner au moins quelques siècles. Ainsi, le bohême et le polonais composèrent primitivement une unité, l’unité slave occidentale, destinée à servir de contre-poids à l’unité slave orientale, formée par le russe et l’illyrien. Quoique unis par la religion, les dialectes slaves d’Orient sont loin d’avoir entre eux les rapports intellectuels qui rapprochent le bohême et le polonais. Ce qui malheureusement paralyse l’action du bohême et de sa littérature, ce sont les provincialismes dont il n’a point encore pu se purger. L’avantage principal du polonais sur tous les autres dialectes slaves, c’est d’avoir, au contraire, ramené à l’unité les élémens divers qui le constituaient primitivement. Cette unité est même si complète, que le russe ne peut lutter, sous ce rapport, avec le polonais.

L’idiome russe se trouve jusqu’à ce jour scindé en deux grands dialectes, le ruthénien et le moscovite, dont les différences sont encore