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fortement tranchées. Nous ne compterons pas une troisième variété, beaucoup moins marquée, celle du bielo-russe. Parlé dans presque toute la Lituanie, à Grodno, à Bialystok et jusqu’en Volhynie, ce troisième dialecte est trop vivement pressé entre les deux influences polonaise et moscovite pour avoir conservé une existence littéraire. A la vérité, dans les temps anciens, les trois dialectes russes qui correspondaient aux trois divisions primitives de la Russie, blanche, rouge et noire, ces trois dialectes avaient chacun sa littérature à part, tout comme les trois Russies avaient chacune un gouvernement et des princes particuliers très jaloux les uns des autres ; mais ces princes, à force de se combattre, ont fini par s’entredétruire. Pour échapper à des milliers de tyrans, le peuple a laissé croître l’autocratie au-dessus de leurs têtes, et les princes moscovites, après une lutte opiniâtre, ont fait de leur idiome la seule langue littéraire de l’empire.

Le ruthénien ou malo-russe est resté toutefois la langue populaire des provinces méridionales. Ce dialecte qui règne sur les steppes depuis le Kouban jusqu’aux Karpathes, et depuis Odessa et la Crimée jusqu’en Gallicie, ce dialecte a conservé une sorte de littérature nationale, représentée par les chansons des paysans, des guerriers et des classes inférieures. Une variété du ruthénien, sous le nom de roussniaque, s’étend par la Boukovine jusque dans le nord de la Hongrie, sur les comitats de Marmaroch, Ung et Bereg. Parlé par treize millions de Slaves des plus intelligens, le ruthénien aurait pu devenir une langue littéraire du premier ordre ; mais, refoulé à la fois par le moscovite et le polonais, il perd chaque jour du terrain.

Quant au moscovite, la position centrale des populations qui l’ont adopté lui permet de se répandre de plus en plus dans toute la Russie. De Moscou et de Pétersbourg, il s’est propagé jusqu’en Sibérie et sur la côte nord-ouest de l’Amérique. Il n’y a pas d’autre langue européenne qui occupe sans interruption un aussi vaste espace. On pourrait ajouter qu’il n’est peut-être pas d’idiome au monde qui soit prononcé dans les contrées où il règne d’une manière aussi uniforme que le moscovite ; cette langue du commandement est parlée avec une précision toute militaire. Il est impossible de distinguer d’une province à l’autre la moindre nuance d’accent. On doit regretter que ce dialecte soit mêlé de mots finnois et mongols qui parfois en altèrent profondément le caractère slave. Néanmoins, au milieu de ses mongolismes anciens et de ses gallicismes modernes, le moscovite a conservé les principales qualités du slavon : une extrême flexibilité de tournures, la concision des périodes, quelque chose à la fois de musical, d’impératif et d’héroïque.

Ces dernières qualités se révèlent plus nettement encore dans l’illyrien que dans le russe. L’illyrien est parlé vers le sud depuis les monts