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Les moyens que n’a pas craint d’employer la police autrichienne pour terrasser l’aristocratie polonaise ont éveillé dans le cœur des opprimés une haine implacable. Livrés, traqués comme un troupeau de bêtes fauves par les paysans, dont on leur a aliéné les sympathies, les seigneurs voient grandir de plus en plus l’abîme qui les sépare des classes inférieures. Cet abîme, la vieille noblesse de Pologne s’efforce vainement de le combler : elle se voit arrêtée par les obstacles que lui oppose le gouvernement et par sa propre aversion pour les théories suivant elle extrêmes du parti démocratique. Aussi, préférant de deux maux le moindre, plusieurs d’entre les magnats inclinent-ils de plus en plus à invoquer la Russie, qui est au moins slave, contre l’Allemagne, qui n’a avec les Slaves rien de commun. Il existe encore une autre cause des progrès de la propagande russe en Pologne, c’est l’avènement du tiers-état ou de la bourgeoisie au pouvoir. Depuis l’occupation russe, la situation des marchands et des habitans des villes a changé complètement. Tandis que le gentilhomme s’appauvrit partout, le bourgeois accroît ses richesses, et son commerce envahit jusqu’à la Russie même, trop peu avancée dans les voies de la civilisation et de l’industrie pour pouvoir concourir avec les villes polonaises. Le paysan passe peu à peu du joug des nobles sous le joug, comme on le sait, très pacifique des boutiquiers. Les marchands craindraient de voir leur commerce s’amoindrir et leurs industries tomber par suite d’une révolution qui les séparerait de la Russie.

D’un autre côté, la cour de Vienne, exploitant la haine qu’elle a su fomenter entre les nobles et les serfs, vient de lancer un décret qui enlève à tous les propriétaires de la Gallicie le droit de justice sur leurs terres, et règle que dorénavant toutes les contestations entre les paysans et leurs seigneurs seront jugées par les tribunaux de chaque cercle. L’aristocratie résiste à cette mesure qui lui est imposée par ses ennemis, elle prétend que c’est une violation des droits imprescriptibles attachés au sol de ses domaines. Il en résulte une mésintelligence croissante entre les paysans trompés et leurs maîtres, et chaque jour on voit s’élever des rixes qui souvent dégénèrent en pillages et en assassinats. Dans un tel état de choses, les communes ne pouvant plus maintenir la police sur leurs territoires respectifs, toute l’autorité passe de plus en plus aux employés impériaux et à la gendarmerie mobile, dont les détachemens parcourent incessamment les villages. C’est ainsi que l’astuce autrichienne a su faire tomber peu à peu le prestige de libéralisme qui avait si long-temps entouré la noblesse polonaise, et qui l’entourerait plus que jamais si elle était libre d’agir.

La même scission, entre les paysans et les nobles menace également de s’accomplir en Bohême, où les redevances les plus exorbitantes écrasent l’habitant des campagnes. Quant à la Hongrie, on sait trop à