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traités à l’égal des Russes. On pourrait presque dire que les postes de confiance sont donnés de préférence aux Allemands. Ce sont eux qui ont dans l’armée la plupart des commandemens supérieurs. Qui ne sait que dans le cabinet même de l’empereur la direction suprême des affaires fut pendant de longues années remise à trois Allemands, les comtes Cancrin, Nesselrode et Benkendorf ? Dans les troubles de Cracovie et de la Gallicie, quel rôle a joué le cabinet russe ? Constamment le rôle d’un allié de l’Allemagne. Une armée auxiliaire a été offerte à l’Autriche pour l’aider à dompter les rebelles ; toutes les pétitions, toutes les adresses secrètes de la noblesse gallicienne à Nicolas, pour obtenir son intervention, ont été repoussées dédaigneusement. A toutes ces supplications, le tsar n’a répondu que par un oukase, qui vers la fin d’août dernier mettait en état de siége les provinces de Litvanie, Podolie et Volhynie, et y proclamait la loi martiale. Il faut le dire, la propagande moscovite en Gallicie et en Poznanie est plutôt faite par les Polonais eux-mêmes que par les agens russes. L’autocrate se sent-il donc tellement fort qu’il puisse rejeter jusqu’aux avances que lui fait la fortune, et qu’il ne veuille pas même d’une Pologne qui se donnerait à lui à titre de nation protégée et tributaire ? Je ne crois pas qu’on puisse supposer au cabinet russe un tel excès de confiance dans son avenir. Ce qui le fait reculer, c’est la crainte d’un piège de la part de ceux qui l’invoquent. La Russie a devant elle l’exemple de la Grèce, dont elle avait aussi, par ses flottes, ses soldats et son or, provoqué l’émancipation ; et, une fois émancipés, les Grecs ont renvoyé en Russie leurs émancipateurs trop suspects. Le cabinet du tsar craindrait d’avoir le même sort dans les provinces slaves de l’Allemagne, et il s’abstient. Ce qui l’arrête aussi, c’est la menace de l’établissement du système constitutionnel en Prusse. Le tsar a un intérêt majeur à maintenir l’absolutisme dans les états qui l’avoisinent, et il sent qu’il ne peut maîtriser l’explosion des idées libérales en Allemagne qu’en s’appuyant sur la force d’inertie de l’Autriche. C’est pourquoi les deux cabinets de Vienne et de Pétersbourg se sentent plus que jamais nécessaires l’un à l’autre. Aussi, loin de se désunir, ont-ils resserré leurs liens depuis les derniers événemens, à tel point que la Russie, sans interrompre pour cela le travail de ses agens panslavistes, n’a pas craint de se déclarer officiellement solidaire de l’Autriche et de réclamer sa part de responsabilité morale dans les massacres de la Gallicie. C’est de sa part un raffinement d’habileté qui ne doit faire illusion à personne.


V.

Les questions qui s’agitent aujourd’hui parmi les Slaves sont-elles dignes de la sollicitude de l’Europe, sont-elles posées de façon à rendre